Vae victis


Zoom / Dans un premier temps, on vous invite à honorer le site http://www.wumingfoundation.com d'une visite, histoire d'avoir une idée juste de l'action artistique du collectif Wu Ming. Soit originellement cinq auteurs italiens (quatre depuis deux ans) regroupés sous un nom de plume – «comme le ferait un groupe de musique» - pour mieux s'empêcher de céder au culte de la célébrité. Héritiers proclamés du mouvement Luther Blissett, pseudo sous lequel moult agitateurs culturels ont secoué la torpeur des médias en soulignant leur manque de recul et de professionnalisme, grands pourfendeurs de la propriété intellectuelle, les membres de Wu Ming n'oublient pas d'apporter une contribution artistique majeure à la culture italienne contemporaine. Ce dont peut largement témoigner Manituana, premier et imposant volume d'une trilogie littéraire (et multimédia, puisque le projet se prolonge en bande dessinée, en CD et sur Internet) sise dans le XVIIIe siècle, dont le but implicite est de narrer la construction historique et idéologique de notre époque – mais sous des angles inattendus. En l'occurrence, ici, le récit des conflits ayant mené à l'Indépendance des Etats-Unis se fait du point de vue des Indiens, les vaincus laissés-pour-compte, les grands oubliés. D'une rigueur chirurgicale dans sa fusion des différents langages des protagonistes, d'une ampleur romanesque saisissante ne faisant jamais fi du poids de l'Histoire, Manituana reconstitue toutes les étapes clés de cet épisode encore trop peu connu de l'avènement de nos sociétés. Nulle disparité stylistique à regretter, l'ouvrage impose son unité de ton sans jamais passer en force, s'autorise même des écarts poétiques audacieux, lueurs bienvenues dans le désespoir latent ressenti entre les lignes. On piaffe d'impatience en attendant la suite de ce projet hors normes.
FCWu Ming
“Manituana“ (Métailié)


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Blanc comme neige