Boy in the oud

On dit de lui, à raison, qu'il est le grand réconciliateur entre Orient et Occident, un musicien virtuose capable de passer d'une esthétique à l'autre en un battement de cil. La venue de Rabih Abou-Khalil à la Source fontainoise ce vendredi sera l'occasion de convaincre ces salopiots de sceptiques. François Cau


Jusqu'à ses 21 ans, Rabih Abou-Khalil perfectionne sa maîtrise précoce de l'oud, le luth arabe, dont il est aujourd'hui l'un des plus grands interprètes, pour ne pas dire le Hendrix – essayez de suivre les mouvements de ses doigts sur certains morceaux, et c'est la folie assurée. Puis la guerre civile du Liban le pousse à l'exil munichois, où il s'adonnera à la flûte traversière, avant de revenir à son premier amour… Bien sûr, il est lourdement tentant de voir dans cet éclairage biographique la genèse de son éclectisme sonore, qui le fait naviguer avec brio entre musiques traditionnelles arabes, jazz, blues et world music dans un sens aussi large que ce dernier terme tant décrié veut bien l'admettre. Mais ce serait nier l'extraordinaire appétence du musicien à ne pas s'enfermer dans un style unique, son désir vibrant de s'acoquiner avec des artistes (citons le Kronos “Requiem for a Dream“ Quartet, l'incroyable pianiste Joachim Kühn, ou encore le tubiste fou Michel Godard, qui sera présent à ses côtés à la Source) ayant fait de leur goût pour la transversalité des esthétiques leur profession de foi artistique. Dynamiques de groupe
Sa discographie pléthorique témoigne à la fois de cette versatilité admirable, de cette propension à entrechoquer les cultures pour leur donner un nouvel éclairage, mais également de son approche particulière de la composition. En effet, bien éloigné du culte de sa propre personne ou de ses capacités inégalées d'instrumentiste, Rabih Abou-Khalil raisonne systématiquement en termes collectifs ; quand on lui demande quels sont ses jazzmen de prédilection, il penche pour Miles Davis et John Coltrane, tout bonnement parce qu'ils s'épanouissaient avant tout au sein d'un ensemble. Dans ce même esprit, il dit composer pour des personnalités musicales, et non pour des instruments – ce qui explique la fidélité hors normes de l'artiste aux musiciens l'entourant, comme leur évidente complémentarité sur scène. Un modus operandi qui lui donne toute latitude pour imaginer des morceaux dont la complexité de structure ne se traduit jamais à l'écoute par un passage sonore en force, mais bien par une cohérence sidérante, faisant fi du poids de ses multiples inspirations pour créer un tout fluide, à la fois très recherché et immédiatement jouissif. Sans déconner
Comme il le déclare lui-même en interview, Rabih Abou-Khalil a pleinement conscience du poids sentencieux que peut revêtir n'importe quelle forme artistique. En tant que spectateur, il s'est retrouvé plus souvent qu'à son tour dépité de l'ambiance glaciale de la trop grande majorité des concerts auxquels il a pu assister, et en a tiré l'une de ses formidables caractéristiques : l'humour, tant dans ses activités discographiques que dans ses attitudes scéniques. Prenez l'album Morton's foot (2003) : on y retrouve des morceaux, tous plus fabuleux et complexes les uns que les autres, avec des noms aussi improbables que Ma muse m'abuse, Lobotomie mi baba lu, L'histoire d'un parapluie ou The return of the maltese chicken ; son superbe Cactus of Knowledge (2001) s'ouvre avec The Lewinsky March, dont les envolées de cuivres peuvent effectivement évoquer, avec un minuscule effort d'imagination, les turpitudes extraconjugales de Monica et Bill C… Tout cela pour dédramatiser la chose musicale, donner des clés d'entrée ludiques à son univers sonore, et témoigner indirectement de sa grande humilité et de son encore plus grande générosité. Mais ce n'est pas pour autant que Rabih Abou-Khalil ne prend pas son auditoire au sérieux : après vous avoir fait sourire entre deux morceaux, soyez bien sûrs que ce génie à l'allure formidablement bonhomme vous bluffera de sa dextérité oudinesque…Rabih Abou-Khalil
Vendredi 23 avril à 20h30, à la Source (Fontaine)


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