Objectivement vôtre

Les Moulins de Villancourt aiment l'art contemporain. Pour le prouver – encore – ils accueillent la première manifestation d'art non-objectif en France en réunissant une vingtaine d'artistes. Modeste et ambitieux, le projet n'est pas sans paradoxe : il nous plaît. Laetitia Giry


Reconnaissons-le, là, tout de suite : une exposition consacrée à l'art non-objectif a de quoi effrayer. D'abord, qui a déjà entendu parler de ce concept ? L'art non-objectif serait-il l'expression d'une énième prise de tête intellectuelle, autiste au monde qui l'entoure et légèrement prétentieuse ? On pourrait craindre que l'exposition ne soit qu'un concentré de ce qui est reproché aux diverses mises en scène de l'art contemporain, repliées sur elle-même, fermées à un public enthousiaste mais pas assez pointu. Cessons d'être méfiants, baissons nos gardes. L'art non-objectif répond à une définition simple : il crée des œuvres sans objet, poursuit une réflexion sur les formes du langage artistique en se détachant de l'art abstrait par sa volonté d'un certain nihilisme théorique. Sans être un véritable mouvement (cf interview ci-contre), sans avoir de dates ni de début ni de fin, il regroupe différents artistes dont les œuvres, sans se ressembler forcément, se rejoignent dans ce qu'elles ne sont pas : des produits figuratifs. Peins et tais-toi
Si les vingt-trois artistes présentés utilisent de multiples médiums – vidéo, photos, installations – c'est la peinture qui reste maîtresse. Le « retour aux sources » s'opère de manière radicale, par des gestes simples et des assertions de toute-puissance. « La peinture n'évoque rien. Elle fait tout autre chose, presque l'inverse : elle donne existence visible à ce que la vision profane croit invisible, elle fait que nous n'avons pas besoin de « sens musculaire » pour avoir la voluminosité du monde. » Cette belle évidence formulée il y a un demi siècle par le philosophe et phénoménologue Merleau-Ponty trouve un écho particulier dans certaines recherches non-objectives. Notamment dans les « War Monochromes » de Matthew Deleget, réalisés sur place suivant les instructions de l'artiste : trois toiles, une bombe de noir, une de gris et une de blanc. L'artiste fait éclabousser l'épure du monochrome classique en le couplant à son mur d'accueil, incarnant l'idée que rien ne se fait sans conséquences ni dommages collatéraux, que si monochrome il y a, débordements de peinture il doit y avoir. Nombreuses sont les œuvres à fonctionner comme des séquelles, elles sont alors le résidu et la trace, la mécanique à découvert et le mystère d'une pureté nue ouverte à toute interprétation. Car la vérité picturale réside au cœur de la vision, son sens lui est donné par le regard du spectateur dans des associations à la dualité subtile : forme et couleur, lumière et reflet, matière et légèreté. A l'image des drôles de parallélépipèdes de Henriette Van 't Hoog, bouts de papier colorés s'extrayant du mur dans une élévation toute sacrée. Ils intriguent et fascinent, brouillent les lignes de fuite et offrent leur volume illusoire comme ultime provocation à l'appréhension de l'espace, existent par des leurres et sont ainsi les plus fourbes représentants de cet art non-objectif, celui dont l'objet n'est qu'une tautologie : lui-même.Tout fout le camp
« C'est beau ce qu'ils ont fait quand même ». « C'est beau », c'est une petite fille qui le dit, et peut-être qu'à un moment, l'acte artistique – ses détours et ses théories, ses formes et ses doutes – se retrouve dans cette affirmation simple et innocente, purement subjective. Pourquoi et comment se modèle le goût qui pousse à cette impression ? Par le nouveau et le repère, la reconnaissance et la négation de la réalité. Par des artistes osant la radicalité, et des expositions leur permettant de s'exprimer. Par l'audace. Ici un caisson, plein d'une illusion induite par une perception défectueuse, là des yeux trop humains pour appartenir à la photo de poissons de laquelle ils nous regardent, ou là une peinture magique, hologramme réfléchissant des sous-couches de couleurs. Mais qu'est-ce qui est beau, et où l'est-il ? Nous serions tentés de répondre : tout fruit d'une remise en question, dans un monde où la peinture murale n'est ni un trompe-l'œil, ni un vulgaire pan de papier peint, un monde où la moindre rayure revendique le droit à la parole. Sans doute n'est-il pas honteux de commencer par là. Retour aux Sources / Back to Basics
Dans le cadre du Festival international d'art non-objectif
Jusqu'au 5 avril 2011 aux Moulins de Villancourt.


<< article précédent
Le Mexique reprend ses biens