Langue bien vivante

Après avoir organisé une petite tournée dans plusieurs communes de l'agglomération, le collectif grenoblois Troisième Bureau s'installe, du 10 au 14 mai, au Théâtre 145 pour le cœur de Regards croisés, son festival dédié au théâtre qui s'écrit aujourd'hui. Nous avons lu l'ensemble des textes qui seront mis en voix sous la thématique "Écrire le réel" : voici notre sélection pleine de promesses.


L'Odeur des tissus

de Lydie Tamisier

« Continuez, mesdames, de cultiver cette reconnaissance envers les autres et envers vous-même, continuez de travailler si âprement à cet art délicat : la joie. » C'est une pièce faite de plein de petits riens juxtaposés. Dans une sorte de retraite spirituelle dont on ne sait pas grand-chose, des femmes se réparent. Tout est doux, bienveillant, sororal ; même si l'explosion ne semble jamais loin. Inspirée par le film Les Onze Fioretti de François d'Assise de Roberto Rossellini, l'autrice Lydie Tamisier, passée notamment par le département écriture dramaturgique de la prestigieuse École nationale supérieure des arts et techniques du théâtre (Ensatt) à Lyon, propose un texte sur le papier malléable pour qui s'y attellera tant la mise en scène pourrait partir dans plusieurs directions – jusqu'à l'ironie la plus mordante avec ces dialogues tout en tensions contenues. Pendant le festival, de nombreuses excellentes comédiennes grenobloises prêteront leur voix à ces personnages presque insaisissables.

Mercredi 10 mai à 19h ; lecture suivie d'une rencontre avec l'autrice


Quand Helgi s'est tu

de Tyrfingur Tyrfingsson

« J'ai déjà eu un mec comme ça. Il m'avait offert un manteau à presque mille balles. C'était sans compter ma tendance à picoler… et à vomir sur mes affaires, dans mon sac à main, dans le taxi, tu vois ? J'ai fini par gerber sur ce putain de manteau, dans la manche. Le gars en question l'a très mal pris. » C'est la pièce la plus punk du festival. On la doit à l'auteur Tyrfingur Tyrfingsson, figure montante du théâtre islandais. Un récit de famille (un père et son fils ont une entreprise de thanatopraxie) et d'amour (le héros jette son dévolu sur la fille d'un défunt) qui, en creux, ausculte frontalement la société islandaise – voire occidentale. Tour à tour drôle, cruelle, saccadée, cette tragi-comédie à la langue crue fascine autant qu'elle dérange – notamment dans son dénouement. Et semble un terrain de jeu idéal pour comédiennes et comédiens investis, si tant est qu'ils sachent quoi faire de ces personnages excessifs !

Jeudi 11 mai à 19h ; lecture suivie d'une rencontre avec l'auteur et les traductrices


Les Enchantements, les bruits sourds des grands ensembles

de Clémence Attar

« En vrai c'est marrant quand même si on m'avait dit y a trois jours gros tu vas prendre une piscine la foutre dans un appart mettre mille ans à la remplir d'flotte et ensuite mettre des p'tits d'dans j'aurais rigolé sa mère. Vous êtes vraiment des zgegs ma parole. » Une cité, une chaleur estivale étouffante, des piscines municipales inaccessibles… Autour d'une histoire de jeunes bien décidés à se rafraîchir et gagner de l'argent, l'autrice Clémence Attar, passée elle aussi par le département écriture de l'Ensatt, livre une pièce à la langue orale et urbaine ; une langue de celles qui, à l'image de ce qu'offrent des artistes populaires comme Jul ou Aya Nakamura, s'affranchissent des conventions, s'inventent sans cesse, se déconstruisent pour mieux se reconstruire… Passionnant dans la forme (jusqu'à la mise en page du texte, en colonnes) ; en plein dans la thématique du festival cette année ; mais risqué à adapter sur scène, sans caricature mais sans déférence non plus. À voir ce que les élèves du Conservatoire de Grenoble, qui la liront sous la direction de Sylvie Jobert, en feront…

Vendredi 12 mai à 19h ; lecture suivie d'une rencontre avec l'autrice


Mais aussi

Trois autres textes seront lus pendant les cinq jours du festival : HeLa d'Aliénor Debrocq, l'histoire vraie d'une femme noire qui révolutionna malgré elle la médecine ; Mauvaises routes de Natalka Vorojbyt, sur une journaliste en pleine guerre en Ukraine (une pièce écrite en 2016 qui résonne fortement avec l'actualité) ; et La Valise vide de Kaveh Ayreek, récit d'un retour d'exil d'Afghans partis en Iran. À noter que seront proposées chaque soir avant la lecture principale des « lectures en lever de rideau » ; et que d'autres événements (une rencontre entre des autrices et des lycéens et lycéennes, une table ronde titrée "écrire/raconter le réel. une fiction ?", une "lecture apéro sirop" pour les plus jeunes…) seront organisés. Programme complet sur www.troisiemebureau.com

Regards Croisés
Du mercredi 10 au dimanche 14 mai au Théâtre 145 (Grenoble) ; entrée libre


<< article précédent
Bijou Bijou, le nouveau café-bar de Gil Petrizzelli