Cinéma / Avec “Vinyan“, Fabrice Du Welz emmène le spectateur dans un voyage cinématographique éprouvant, inattendu et sensoriel, pour un film limpide, fort, marquant, le meilleur de cette rentrée.Christophe Chabert
Le Tsunami est passé par là, mais le couple est resté en Thaïlande. Un soir, invité à une soirée de charité pour récolter des fonds afin de construire un orphelinat, Jeanne croit reconnaître son fils sur un film de promotion. Vivant. Perdu dans la jungle, mais vivant. Le reste du film racontera cette recherche désespérée, sur la corde raide, et emmènera personnages et spectateurs vers l'inconnu. La première partie de Vinyan retarde pourtant cette plongée dans l'imaginaire : le couple s'égare dans les rues de Bangkok, cherchant un passeur mafieux pour se rendre jusqu'à la frontière birmane, là où les enfants sont enlevés et séquestrés. Ce Bangkok pluvieux, nocturne, avec des boîtes à strip-tease sur fond de techno assourdissante, un monde urbain et hostile, Du Welz le filme caméra à l'épaule, quelque part entre les frères Dardenne et Gaspar Noé au début d'Irréversible (Benoît Debie est le chef opérateur des deux films, d'ailleurs). Cet ultra-réalisme claustrophobe est comme le premier palier d'une descente aux enfers qui investira ensuite un autre environnement. Hostile, toujours. Il marque aussi la première fissure dans le couple : Paul suit Jeanne sans vraiment la croire, accompagnant par amour cet espoir insensé. La deuxième partie du film, la plus contemplative, très belle quoique moins spectaculaire, verra le couple gagner de l'épaisseur, exister et résister aux épreuves, désillusions et mauvaises rencontres sur son chemin.Mater dolorosa
La force de Du Welz, qui permet à Vinyan d'être autre chose qu'un simple exercice de mise en scène tourné par un cinéaste aux références évidentes, tient beaucoup à cette capacité à laisser vivre ses protagonistes, les observer avec une réelle tendresse et croire dans leur complicité. Le couple Béart-Sewell, deux excellents acteurs rarement aussi bien servis, y est pour beaucoup. Grâce à eux, la métaphore de Vinyan peut apparaître, limpide, dans un dernier tiers incroyable, hallucinant car littéralement halluciné. Dans cette jungle des enfants perdus va se rejouer l'éternel affrontement homme-femme : l'instinct maternel, associé à d'autres instincts «primitifs», va prendre le dessus sur la distance sceptique de l'homme. Jusqu'à une image démente où Du Welz montre littéralement que dans le ventre de l'homme, il n'y a rien, que des boyaux incapables de donner la vie. Provoquant, ce discours vient naturellement s'inscrire dans la chair des plans, dans sa bande son hyper-réaliste, dans son décor organique, dans ses visions effrayantes et ses excès baroques. Du Welz renvoie l'être humain à sa sauvagerie première, et observe la redistribution des rôles dans ce nouveau règne animal. On ne dira rien de la conclusion, sublime, de ce film magnifique et intransigeant ; mais elle tordra définitivement le cou à ceux qui voyaient le cinéaste en nouveau chancre du gore francophone. C'est surtout un grand cinéaste romantique !Vinyan
de Fabrice du Welz (Fr-Ang-Belg, 1h37)
avec Emmanuelle Béart, Rufus Sewell...