Nourri de musique, et de langue, cajun, le trio suisse Mama Rosin, produit et soutenu par l'apôtre blues Jon Spencer, est en train de fondre sur le monde de la musique à la vitesse d'une bête sauvage. Stéphane Duchêne
Ils pourraient être, comme les héros des Bêtes du Sud Sauvage de Benh Zeitlin, un trio d'îliens égarés du mauvais côté du monde. Des exilés involontaires qui auraient retrouvé dans la musique des racines dont ils ignoraient l'existence. Car voilà le mystère : qu'est-ce qui a bien pu faire que les trois membres de Mama Rosin naissent et grandissent en Suisse ? A écouter leur musique aux accents de Louisiane française on se dit qu'un ouragan d'une ampleur encore supérieure à celle de Katrina, une tornade façon magicien d'Oz les a échoués là, avec pour tout bayou, la campagne genevoise, et comme substitut au limon du Mississippi, le Léman des Alpes Suisses. Echoués avec eux, une guitare, un mélodéon, une batterie, un harmonica et une flopée de références d'un autre âge tout droit sorties des antiques anthologies de la musique folk - chapitre incunable de la musique cadienne, ce folklore francophone de Louisiane au drôle d'accent. Et au départ, un mentor : le Révérend Beatman, gourou rock de la confédération helvétique. De quoi partir à la conquête de cette Louisiane fantasmée. Mais pas forcément idéalisée.
Bye Bye Bayou
Car cet éloignement géographique, les Mama Rosin le mettent aussi au service d'une distance musicale qui leur permet d'ingérer les bases de cette musique traditionnelle pour mieux en recracher une version chaudement rock'n'roll, garage, punk. Ce faisant, Pieds Nickelés ou Three Stooges dynamiteurs de genres, ils n'en conservent pas moins l'ironie alcoolisée ayant toujours traversé, rhum oblige, la musique cajun (ou cadienne, d'influence blanche) et sa cousine créole zydeco, plus caribéenne. Et voilà qu'après quelques albums forts en bouche, et un buzz à la croissance continue, Jon Spencer lui-même est tombé en amour, et même un peu jaloux, de ce blues syncopé et mal peigné, offrant premières parties et production d'un album : le récent Bye Bye Bayou. Imprégné de la furieuse énergie de Spencer, Bye Bye Bayou est plus batailleur encore que les précédents albums du groupe, véritable déflagration joyeuse et frénétique qui ne fait pas l'âge de son antique inspiration. Et, tels les Aurochs des Bêtes du Sud Sauvage, les trois Mama Rosin de rejouer à leur manière, en ruinant tout sur leur passage, « Le Grand dérangement » de 1755 qui amena les Acadiens en terre de Louisiane.
Mama Rosin (Les Nuits de l'Alligator), à la Bobine, jeudi 14 février à 20h30