Pour la troisième édition du festival, l'équipe des Détours de Babel a choisi de se pencher sur la question de la religion et de son traitement par les différentes musiques d'ici et d'ailleurs. Un axe passionnant tant l'histoire musicale est intimement liée à l'histoire religieuse, comme on en aura la preuve pendant ces trois semaines. Aurélien Martinez, Laetitia Giry et Christine Sanchez
Cela fait trois ans que Les Détours de Babel, festival né de la rencontre entre les anciens 38e Rugissants et Grenoble Jazz Festival, investit chaque début de printemps l'agglomération dans son ensemble – aussi bien les salles classiques que l'espace urbain. Et trois ans qu'il se traîne la même image de manifestation élitiste réservée à quelques extatiques amateurs de branlette intellectuelle.
Alors que, n'en déplaisent aux médisants, c'est un peu plus compliqué que ça – voire carrément plus ! Les Détours de Babel, ce sont trois volets artistiques : les musiques contemporaines, le jazz, et les musiques traditionnelles (ou dites du monde). Une trinité ambitieuse au sein de laquelle on retrouve des propositions exigeantes, l'équipe organisatrice prenant soin de programmer des artistes qui ne se contentent pas de faire de la musique, mais qui la vivent, la réfléchissent, la réinventent...
Alors, certes, il y aura peu de noms connus du grand public pendant ces dix-huit jours de festival, et une poignée d'événements semblent véritablement hermétiques sur le papier... Mais si l'on prend la peine de dépasser la rugosité de l'entreprise, certains concerts risquent fort d'être de grands moments. On vous propose donc une sélection hautement subjective et passionnée. Et on vous invite à la faire vôtre (avec la part de risque que cela comporte, on en est conscients) pour que perdure la formule du grand homme de théâtre Antoine Vitez : l'élitisme pour tous.
Les Détours de Babel, du mardi 2 au samedi 20 avril
Dans divers lieux de Grenoble, de l'agglo, et du département
Les événements
Une cloche sonne, sonne
C'est le projet le plus atypique de cette troisième édition, qui rentre en plus en plein dans la thématique « musique & religion, sacré, spiritualité ». Comme il l'a déjà fait de nombreuses fois aux quatre coins du monde, le compositeur espagnol Llorenç Barber fera résonner la ville grâce aux cloches des églises grenobloises, et d'un carillon ambulant (car Grenoble n'en possède pas). Un concert qui pourra se vivre différemment selon que l'on soit à côté d'une église, en pleine promenade, ou – surtout – sur les terrasses du Musée dauphinois, sans doute le plus bel endroit pour profiter de cette expérience hors norme ouverte à tous – et même aux néophytes qui, surpris, se demanderont sans doute ce qu'il se passe !
Campana, samedi 6 avril à 22h, au centre-ville de Grenoble (clochers des églises de St-Bruno, St-Louis, St-André, St-Laurent, de la basilique St-Joseph, de l'ancien couvent Ste-Cécile et de la place Xavier Jouvin).
Thé ou café
Le brunch, depuis une dizaine d'années, c'est très tendance. Les Détours de Babel n'échappent pas à cette mode, mais qu'importe. Car bruncher dans le cadre idyllique du Musée dauphinois (encore lui !), entre le cloître, la terrasse, les jardins & co, tout en découvrant des artistes originaux (dont Llorenç Barber, qui sera présent le premier dimanche), est une activité aussi agréable que, par exemple, boire du champagne en mangeant des fraises, ou faire une fish pédicure devant un Terrence Malick. Oui, des trucs de bobos (à faire d'ailleurs entre amis, en famille, ou dans toute autre configuration) ; et alors ?
Brunch musical, dimanches 7 et 14 avril, de 10h30 à 17h, au Musée dauphinois.
De Goa à Grenoble
Un bal trance pour clôturer le festival ? Une idée pleine de bon sens, la trance, formalisée à Goa en Inde, étant par essence la musique du spirituel, qui cherche à faire planer l'auditeur. Le collectif grenoblois Hadra, pilier du genre avec notamment son festival qui a lieu chaque année là-haut dans la montagne, investira donc la MC2 pour une nuit psychédélique qui offrira à coup sûr une couleur supplémentaire aux Détours de Babel. Ces derniers évitent ainsi l'écueil du jeunisme et de la programmation d'un artiste d'électro fluo d'aujourd'hui, tout en diversifiant incontestablement leur public. Bonne pioche.
Downtown dreamers, samedi 20 avril de 22h à 8h, à la MC2
Les figures
Le bruit des pas
Pour sa création Le Silence de l'Exode, le fameux clarinettiste Yom a voulu « partir d'un des premiers déplacements essentiels du peuple juif, qui est la sortie d'Égypte et les quarante ans d'errance dans le désert qui ont suivi ». S'inspirant de ces mouvements historiques, il fait s'entremêler des musiques de différentes origines (juives et orientales) pour mieux exprimer un sentiment commun à l'humanité entière : la solitude. Loin d'être seul sur scène, lui qui multiplie les collaborations est ici accompagné du contrebassiste d'origine arménienne Claude Tchamitchian, du violoncelliste oriental Farid D. et du percussionniste iranien Bijan Chémirani, et fait plus que jamais virevolter sa clarinette dans les méandres de l'inconscient collectif. Sonorités profondes, intensité dramatique atteignant des paroxysmes à vous fiche la chair de poule, les envolées de cette assemblée de musiciens marquent l'oreille. Pour avoir déjà vu Yom en live (mais en solo), on peut affirmer que sa virtuosité resplendit sur scène. Gageons qu'il irradie de la même manière en groupe...
Yom – Le Silence de l'Exode, jeudi 4 avril à 20h30 à La Source (Fontaine)
Vers l'infini et au-delà
Parti à la conquête des musiques nouvelles depuis le début des années soixante-dix, le Kronos Quartet est un quatuor à cordes résolument hors du commun. C'est à San Francisco, où la formation est basée, que John Sherba et David Harrington aux violons, Hank Dutt à l'alto et Jeffrey Zeiggler au violoncelle – lequel a rejoint le groupe en 2005 – ne cessent d'expérimenter ensemble, repoussant leurs propres limites en ignorant quasiment la notion de genre musical. Comme pour mieux creuser encore et encore le sillon de nouvelles perspectives sonores. Davantage performers que musiciens lorsqu'ils occupent une scène (ou un laboratoire?), ils bousculent, impressionnent et envoûtent en tendant vers toujours plus d'inattendu. Et montrent qu'ils sont tout aussi capables de s'attaquer à du Richard Wagner qu'à l'œuvre monumentale du compositeur Steve Reich – spécialisé dans la création d'une musique minimaliste qui déstabilise mais transporte. Muni donc de ses interprétations d'avant-garde qu'il transcende par son indiscutable brio, le Kronos Quartet continue d'ouvrir des vannes, dévoilant des possibilités mélodiques infinitésimales, flirtant avec le sacré.
Kronos Quartet, samedi 6 avril à 20h, à l'Hexagone (Meylan)
Mille colombes
Rodolphe Burger est un musicien prolifique qui n'est jamais là où on l'attend – et tant mieux. L'ancien leader du groupe culte Kat Onoma jouera ainsi, dans le cadre du festival, Le Cantique des cantiques, suivi d'un hommage à Mahmoud Darwich.
Le texte biblique, retraduit par l'auteur Olivier Cadiot et mis en musique par feu Alain Bashung, sert de point d'accroche au quintet présent sur scène – quintet mené par Burger et sublimé par la chanteuse israélienne Ruth Rosenthal. Quant aux mots du palestinien Mahmoud Darwich, avec son très beau poème S'envolent les colombes, ils prolongent le Cantique de façon plus lyrique, berçant et hypnotisant littéralement le public (ce fut notre cas quand nous l'avons vu) à travers la voix de Burger. Baudelaire parlait d'invitation au voyage : c'est un peu ça que nous propose Burger.
Le Cantique des cantiques & Hommage à Mahmoud Darwich, jeudi 11 avril à 20h, à la Rampe (Echirolles)
Fan de
Oui, le monde de la musique contemporaine a aussi des (rock)stars. Pierre Henry en est une. Ce compositeur de musique électroacoustique né en 1927 est une légende vivante, un véritable pan d'histoire – on le présente souvent comme l'un des pionniers des musiques électroniques en France.
Il sera présent à deux reprises pendant le festival : d'abord à Bourgoin-Jallieu, avec son concert Pulsations ; et surtout à la MC2 pour sa création Fragments rituels, « rêverie musicale » autour de sa fameuse Messe pour le temps présent datant de 1967. Immanquable semble être le terme adéquat.
Pulsations, mardi 16 avril à 20h30, aux Abbatoirs (Bourgoin-Jallieu)
Fragments rituels, vendredi 19 avril à 20h30, à la MC2