SPECTACLE / Petit prince du jonglage et de l'informatique, Adrien Mondot investit le plateau de l'Hexagone pour sa première création dans les murs du théâtre. Et offre ainsi un moment artistique de pure grâce comme on en voit trop peu souvent. Aurélien Martinez
Ambiance visuelle forte pour la première création d'Adrien Mondot au sein de l'Hexagone. L'artiste en résidence, qui succède à la très théâtreuse Muriel Vernet, est associé au théâtre meylanais pour trois ans. Sachant qu'il commence depuis quelques années déjà à se faire un nom de plus en plus apprécié des professionnels de la profession, et que sa réelle reconnaissance publique ne saurait tarder (lançons les paris), le choix fait par l'Hexagone de sortir des sentiers battus en invitant un artiste multicartes passionné de jonglage apparaît audacieux et porteur de sens. Un choix qui donne par la même occasion une couleur différente à la programmation de la salle, Antoine Conjard ayant décidé de l'ouvrir pleinement aux arts du cirque pour les années à venir (on nous promet une carte blanche panorama sur le sujet la saison prochaine, évidemment coordonnée par Adrien Mondot).
Promenades digitales
Une scène nue, avec seulement le sol et le mur du fond blancs. Décor physiquement minimaliste mais technologiquement impressionnant. Car le plateau va s'habiller de mille formes digitales le temps du spectacle et épouser le corps des deux interprètes, à l'aide d'un logiciel conçu par Adrien Mondot lui-même. Véritable technophile, notre homme était à l'origine informaticien, au temps où il fallait trouver un métier porteur de stabilité... Jusqu'à ce qu'il envoie tout balader pour se lancer dans le jonglage, sa véritable passion. D'où cette maîtrise évidente de l'outil informatique qui, plus qu'un simple gadget, devient un matériau artistique comme les autres (le corps, la musique, la lumière...). On assiste ainsi à des moments intenses de féerie visuelle, comme lorsqu'Adrien et sa danseuse semblent perdus dans un jeu vidéo, se devant d'éviter les gouffres et les objets numériques lancés droit sur eux. Cinématique, le nom de la création, prend alors tout son sens, la cinématique étant, en physique, « la discipline de la mécanique qui étudie le mouvement du corps en faisant abstraction des causes du mouvement ». Cette notion d'omission du pourquoi du comment permet au spectateur de plonger à corps perdu dans cet appel au rêve éveillé. Car si certaines productions visuellement fortes peuvent rapidement se transformer en prise d'otage des sens (le beau pouvant sembler imposé, laissant notre imaginaire aux abonnés absents), le problème ne se pose pas ici : Adrien Mondot a eu l'excellente idée de s'échapper de tout schéma narratif, nous laissant apercevoir ici et là les métaphores de ce que bon nous semble. Une manière de fonctionner qui a séduit Wajdi Mouawad : il a confié au prodige de l'informatique la partie vidéo de son tout récent Ciels, visible en mars à la MC2.
Du beau monde
Pour élargir son propos initial (un travail autour de la notion de chute), Adrien Mondot s'est entouré de divers artistes issus des arts graphiques, de la scène, du design... dans ce qu'il appelle des "labos" : des moments de réflexions croisées menés sans aucun a priori. Si finalement tout ne ressort pas directement sur le plateau, ce moyen de fonctionner permet à l'artiste de se confronter directement à d'autres univers pour enrichir le sien (on attend avec impatience un futur labo avec le groupe EZ3kiel prévu pour l'année prochaine). Suivant cette ligne directrice, il a décidé de travailler pour Cinématique avec Satchie Noro : la danseuse prolonge ainsi les recherches du jongleur sur le mouvement, en apportant son approche personnelle. L'osmose entre les deux se fait totale, guidée par la dramaturge Charlotte Farcet, qui a souvent bossé avec Wajdi Mouawad. Cinématique devient alors un spectacle intelligent et sensitif à prendre comme un voyage irrationnel saisissant. Ah oui, et la chute dans tout ça nous direz-vous, la création étant intitulée dans la plaquette du théâtre Cinématique de la chute... Eh bien il n'en reste qu'une idée parmi d'autres, Adrien ayant décidé au cours de ses réflexions de ne plus en faire un thème central. Ce sera donc Cinématique tout court, et c'est déjà beaucoup. Mais promis, il garde l'idée de chute pour une prochaine fois, dans un coin de son imagination florissante.
CINÉMATIQUE
Jusqu'au vendredi 29 janvier à 20h, à l'Hexagone (Meylan)