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Gallotta à l'état brut
Par Aurélien Martinez
Publié Vendredi 9 novembre 2012
Photo : Guy Delahaye
Jean-Claude Gallotta transpose sur grand plateau ses "Chroniques chorégraphiques" qu’il avait imaginées en 2008 dans le petit studio de la MC2. "Racheter la mort des gestes" se transforme alors en spectacle sobre et émouvant, qui peut être vu comme la quintessence du travail du chorégraphe, à la tête du Centre chorégraphique national de Grenoble depuis presque trente ans. Rencontre. Propos recueillis par Aurélien Martinez
Jean-Claude Gallotta, c’est une marque. Une approche particulière et reconnaissable entre mille, qui occupe une place importante dans l’histoire de la danse contemporaine. Un style épuré, quelques fois maniéré, surtout touchant par ce qu’il raconte sur le corps. Ainsi, le chorégraphe grenoblois travaille souvent sur scène avec des amateurs – même s’il n’aime pas ce mot, lui préférant celui de « gens ». « J’ai toujours mélangé les gens : les grands, les petits, les maigres, les danseurs, les non danseurs... L’idée est de les prendre comme ils sont, avec ou non un savoir de danseur, et qu’ils aient leur moment très précis, très honnête. » Dans Racheter la mort des gestes, recréation d’une petite forme qui a vu le jour en 2008, les danseurs professionnels côtoient des anonymes tantôt âgés, tantôt en fauteuil, tantôt avec accent... Tout un monde.
« Portrait chinois »
Racheter la mort des gestes est né d’une rencontre : celle entre l’écrivain Hervé Guibert, l’un des papes de l’autofiction mort en 1991, et Jean-Claude Gallotta. Ce dernier nous raconte l’histoire : « Guibert, qui est jeune pigiste au Monde, veut découvrir la danse contemporaine. On est dans les années 80. Il décide de venir voir Daphnis é Chloé que l’on jouait à Paris. Mais ce soir là, Mathilde [Altaraz, une danseuse qui est aussi sa compagne – ndlr] se tord la cheville. On est contraints d’annuler. Hervé Guibert veut alors venir nous voir à Grenoble. Pendant le voyage, il m’a posé plein de questions sur la ville, sur mon parcours, sur la danse qu’il ne connaissait pas. Je lui ai parlé de Béjart, de Cunningham... On a aussi échangé sur les films, les musiques, la littérature... À l’issue de ça, il a fait un papier qui est sorti en 1984, pendant que l’on faisait Ivan Vaffan. C’est là qu’il parle de la chorégraphie. Du coup, j’ai repris ce texte en début de spectacle. Et par petites touches, j’ai reconstruit ce voyage en portrait chinois. »
D’où une pièce conçue en différentes saynètes, convoquant aussi bien le tube Quand j’étais chanteur de Michel Delpech qu’un extrait de Lawrence d’Arabie. « J’ai essayé de me rappeler ce que je lui avais raconté. Je me suis servi de ces souvenirs comme de points d’appui qui m’ont permis d’avoir un fil conducteur. En général, je travaille comme ça au début d’une création : les danseurs me demandent de voir les films dont je parle, on fait des projections, on en discute... Puis je gomme le tout pour le rendre plus abstrait. Là, c’est véritablement à l’état brut. »
« Je n’aime pas la sophistication »
L’idée était donc de transposer sur un grand plateau les Chroniques chorégraphiques créées dans le studio de la MC2, sans que la pièce n'en pâtisse. « J’aime de plus en plus les choses simples, je fais les lumières moi-même par exemple... Pourtant, il manquait quelque chose sur ce grand plateau : il manquait les baies vitrées [tout un pan du mur du studio de la MC2 donne sur le grand espace vide devant le bâtiment, avec la ligne de tram en fond – ndlr]. Du coup, même si je n’aime pas trop la sophistication, j’ai proposé qu’on filme les baies vitrées et qu’on projette les images en fond de scène. À Paris, ça a fait un tabac ! Les gens trouvent ça extraordinaire, c’est la première image qu’ils voient. C’est pourtant une idée toute simple. Comme quoi, c’est véritablement la dramaturgie qui compte. »
« Le CCN n’est qu’un outil »
À 62 ans, Jean-Claude Gallotta est toujours en pleine ébullition, entre relecture de son répertoire (Daphnis é Chloé a été repris en 2011 avec de nouveaux interprètes, Ivan Vaffan le sera en janvier prochain) et nouvelles créations (la dernière en date est Le Sacre du Printemps, que l’on pourra revoir à la MC2 en fin de saison). Mais Jean-Claude Gallotta, c’est surtout la pièce L’Homme à tête de chou (2009), qui a connu un succès phénoménal, tant public que critique. « J’étais plutôt très heureux, parce que j’avais un peu peur... Dans nos milieux, on n’aime pas trop quand on flirte avec le showbiz. Mais comme Bashung avait une aura qui allait au-delà du simple chanteur de variété, je pense qu’il y a eu une écoute différente. Le projet a même permis à des gens de découvrir la danse contemporaine, et d’y prendre goût. »
Aujourd’hui, Jean-Claude Gallotta est toujours un artiste prolifique et respecté, à la tête du Centre chorégraphique national de Grenoble depuis 1984. Forcément, ça pose question, quand les directeurs de Centres dramatiques nationaux changent fréquemment, et que certains de ses collègues chorégraphes décident de quitter leur confortable CCN de leur plein gré – c’est le cas de Maguy Marin qui est partie de celui de Rillieux en 2010, et qui a été remplacé par un talent émergeant (Yuval Pick). « Pour moi, le CCN n’est qu’un outil – qu’on a fabriqué d’ailleurs ! Je suis à Grenoble, j’ai besoin d’un atelier. Qu’on l’appelle l’Orangerie, le CCN ou la Maison de la culture, c’est pareil. Je demande juste des moyens pour continuer à travailler. Et si ça peut se faire à Grenoble, j’aime autant. »
Racheter la mort des gestes, du jeudi 15 au dimanche 18 novembre, à la MC2
Ivan Vaffan, du mardi 8 au vendredi 11 janvier, à la MC2
Le Sacre du printemps, du mercredi 5 au vendredi 7 juin, à la MC2
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