Chronique d'une biennale 2/4

Avec la reprise de "Nelken" de Pina Bausch et la nouvelle création, "Salves", de Maguy Marin, la danse bouleverse autant le spectateur que l'espace scénique. Et témoigne pour la vie, sans illusion sur sa part de haine et de cruauté. Jean-Emmanuel Denave

Ce sont des fils ou des bouts de pellicule imaginaires que les danseurs de Maguy Marin, un par un, étirent et regardent sur une scène dénudée, presque dévastée. Et, déjà, le spectacle s'annonce sous le signe du montage cinématographique, du rapiéçage, de la difficulté du lien entre les individus, entre le passé et le présent aussi. Le temps est sorti de ses gonds, et les fantômes des voix de dictateurs heurtées aux dialogues de Fellini, fusent de vieux magnétophones à bandes. La communauté s'ébauche, se brise, se rafistole ailleurs, toujours incertaine et menacée... Jusqu'à ce que les flics, le pouvoir, la violence, ce qui divise et humilie la vie, arrivent. Il faut fuir alors, dans la panique, dans l'ombre. «Salves» se déroule d'ailleurs presque entièrement dans le noir. Un noir entrecoupé d'éclairs, d'images «flashs», de saillies, d'éclats évanescents. La précision de la mise en scène de Maguy Marin est époustouflante. On s'y envoie des œuvres d'art comme dans une passe à dix, on met et remet le couvert, on recolle les morceaux d'un vase dans un coin de scène, on passe à tout allure et en hurlant ("Salves" est aussi une pièce des passages), on s'écroule, on s'entretue ou on s'entraide... La dominante est noire, ironique et cruelle, mais dans un coin ou l'instant d'un geste, dans une flaque de lumière, un corps résiste toujours un peu.Œillets carnivores
Cette fragilité de la vie (dans ses dimensions autant physique, humaine que politique) est aussi l'une des grandes préoccupations de Pina Bausch dans "Nelken", pièce datant de 1982. Ici, comme dans Salves, l'élan (amoureux, social, vital) est brisé par les mêmes venins : «Montrez-moi votre passeport !», «Fais le chien, aboie !», «Baisse ton pantalon !». Et sur une scène couverte d'œillets, tout bascule et vacille sans cesse... Parce que l'intime n'est jamais complètement coupé du collectif, la violence de l'humour, le vrai du faux, la beauté de la charogne. Pina Bausch a tenté aussi de rapprocher le plus possible la sphère de la fiction (le «théâtre») de celle de la «réalité». La chorégraphe incruste littéralement dans sa mise en scène magistrale des morceaux de réel, des happenings, un jeu de «1, 2, 3, soleil», de vraies gifles, de vrais chiens, des sauts de cascadeurs... Le corps, seul ou en choeur, embrasse toutes les ambivalences. Support du rêve et du réel, du cri d'amour et de l'aboiement, de l'érotisme et du cauchemar... Pina Bausch et Maguy Marin ouvrent la danse à son dehors (le théâtre, le réel...), plient le corps dans toutes ses ambiguïtés, éclatent la narration et l'espace scénique pour essayer de s'approcher toujours un peu plus de la complexité de quelques vies humaines. Et avec quelle force ! À noter : Salves de Maguy Marin sera repris au CCN de Rillieux-la-Pape du 15 au 17 février

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