TVA immobilière, TVA sur marge, point d'actualité sur les évolutions récentes

Me Laetitia Pignier / La fin de la saison du feuilleton aux multiples épisodes de la TVA sur marge applicable à une cession de terrains à bâtir issus d’une division parcellaire de terrains bâtis s’annonce prochainement.

Depuis la réforme de la TVA immobilière opérée par la loi de finances rectificative pour 2010 (loi n° 2010-237 du 9/03/2010), les conditions d’application de la TVA sur marge en cas de revente de terrains à bâtir posent de nombreuses difficultés d’interprétation, entraînant une grande insécurité des opérations de marchands de biens et de lotissements et alimentant un contentieux fourni avec l’administration fiscale.

Rappelons que selon l’article 268 du CGI, par dérogation au principe de l’application de la TVA sur le prix total, en cas d’acquisition puis de revente d’un terrain à bâtir par un assujetti à la TVA, la cession peut être soumise à la TVA sur la marge lorsque son acquisition n’a pas ouvert droit à la déduction de la TVA.

Pour l’application de ces dispositions, l’administration fiscale avait posé une condition d’identité juridique et physique entre le bien acquis initialement et le bien revendu dans des réponses ministérielles successives en 2016.

L’administration est ensuite partiellement revenue sur sa doctrine au travers de la publication de plusieurs réponses ministérielles abandonnant le critère d’identité physique (réponse Vogel QE n° 04171 JO Sénat 29 mars 2018 et réponse Falorni JOAN 24/09/2019 QE n° 1835).

Une jurisprudence disparate

Dans le contexte d’une jurisprudence disparate sur la question, le Conseil d’État et la cour administrative d’appel de Lyon ont renvoyé à la Cour de justice de l’Union européenne deux questions préjudicielles (CJUE 30 septembre 2021, C-299/20, Icade Promotion SAS et CJUE 10 février 2022, C-191/21, Les Anges d’Eux SARL, Écho 5 SARL, Cletimmo SAS), auxquelles la CJUE a répondu, livrant une interprétation très restrictive du dispositif dérogatoire de taxation sur la marge, prévu à l’article 392 de la sixième directive, susceptible de remettre en cause l’application de la TVA sur marge dans la plupart des cas de figure susceptibles de se présenter pour les opérations de marchands de biens.

Ainsi selon la CJUE :

– Le régime de marge requiert une condition d’identité « juridique » qui repose sur la comparaison de la qualification TVA de ce qui est acheté avec ce qui est revendu. Il faut donc acheter et revendre un terrain à bâtir si on veut appliquer la TVA sur marge sur la revente de ce terrain à bâtir.

– Le régime de marge ne requiert pas de condition d’identité « physique ». Le découpage physique du terrain n’a pas de conséquence.

– Un terrain à bâtir qui fait l’objet de travaux de raccordement aux réseaux demeure un terrain à bâtir et ne devient pas un bâtiment.

– La TVA sur marge s’applique soit lorsque l’acquisition des biens a été soumise à la TVA, sans que l’assujetti qui les revend ait eu le droit de déduire cette taxe, soit lorsque leur acquisition n’a pas été soumise à la TVA, alors que le prix, auquel l’assujetti-revendeur a acquis ces biens, incorpore un montant de TVA qui a été acquitté en amont par le vendeur initial. En dehors de ces deux hypothèses, la TVA sur marge ne s’applique pas aux opérations portant sur des biens dont l’acquisition initiale n’a pas été soumise à la TVA, soit qu’elle se trouve en dehors de son champ d’application, soit qu’elle s’en trouve exonérée.

Cette dernière condition, qui marque la fin prochaine de la TVA sur marge, telle qu’elle s’applique à l’heure actuelle, a été reprise par le Conseil d’État dans deux arrêts (Conseil d’État, 12 mai 2022, n° 416727 ; Conseil d’État, 9e chambre, 18 avril 2023, n° 468094) aux termes desquels le régime de la TVA sur marge s’applique à la revente d’un terrain à bâtir uniquement lorsque son acquisition a été soumise à la TVA sans que l’assujetti qui les revend n’ait eu le droit de déduire cette taxe ou lorsqu’elle n’a pas été soumise à la TVA, alors que le prix auquel l’assujetti-revendeur a acquis ces biens incorpore un montant de taxe sur la valeur ajoutée qui a été acquitté en amont par le vendeur initial.

Cette condition n’a pour autant à ce jour pas été reprise par la doctrine administrative publiée sous les références BOI-TVA-IMM-10-20-10.

Mise à jour de la doctrine fiscale

À cet égard, dans une réponse ministérielle publiée le 1er février 2022 (RM GRAU JOAN 1/02/2022 n° 42486), le gouvernement a précisé qu’une mise à jour de la doctrine fiscale serait effectuée suite à l’évolution de la jurisprudence nationale et européenne, mais que cette mise à jour n’aurait pas vocation à remettre en cause les équilibres économiques des opérations en cours et qu’en conséquence, dans le cadre de la revente d’un bien immobilier postérieurement à la publication des futures précisions doctrinales, l’assujetti revendeur pourra continuer à se prévaloir de l’actuelle doctrine fiscale si son acquisition du bien considéré est intervenue ou a fait l’objet d’un compromis de vente antérieurement à cette publication.

Le régime de la TVA sur marge reste donc applicable dans l’attente d’une modification de la doctrine administrative, aux opérations en cours.

Le Conseil d’État a par ailleurs rendu récemment un arrêt (Conseil d’État, 10e – 9e chambres réunies, 2/04/2024, 466644, inédit au recueil Lebon) qui précise les critères de qualification du bien vendu au regard de la TVA et par conséquent le régime de TVA applicable à la vente de ce bien sur la question de l’identité juridique.

Ainsi, lorsqu’un bien est composé d’un bâti et de plusieurs parcelles, ce nouvel arrêt permet de répondre à la question de savoir si le vendeur vend un bâti et un ou plusieurs terrains (ou seulement un bâti et son terrain d’assiette sis sur plusieurs parcelles qui suivent dès lors le régime TVA du bâti).

Dans son arrêt du 2 avril 2024, le Conseil d’État apporte les précisions suivantes.

Point 4 : « Il résulte également des dispositions de l’article 268 du Code général des impôts, lues à la lumière de celles de la directive du 28 novembre 2006 dont elles ont pour objet d’assurer la transposition, que les règles de calcul dérogatoires de la taxe sur la valeur ajoutée qu’elles prévoient s’appliquent aux opérations de cession de terrains à bâtir qui ont été acquis en vue de leur revente et ne s’appliquent donc pas à une cession de terrains à bâtir qui, lors de leur acquisition, avaient le caractère d’un terrain bâti, notamment quand le bâtiment qui y était édifié a fait l’objet d’une démolition de la part de l’acheteur-revendeur ou quand le bien acquis a fait l’objet d’une division parcellaire en vue d’en céder séparément des parties ne constituant pas le terrain d’assiette du bâtiment ou encore quand les parcelles, quoique ayant déjà fait l’objet d’une autorisation de division, ou d’une division effective, lors de l’acquisition, avaient, au regard des indications figurant dans l’acte de vente, été vendues non comme terrain à bâtir, mais comme terrain bâti, ensemble avec la parcelle sur laquelle était édifié un bâtiment. »

Il en résulte, que selon le Conseil d’État, la désignation des biens à l’acte emporte tout et notamment les parcelles, et la nature du terrain à bâtir.

Il n’y a donc lieu de ne pas s’en tenir au caractère constructible des parcelles acquises nues, mais de rechercher si celles-ci ont été acquises en vue d’être cédées en qualité de terrain à bâtir, c’est-à-dire en vue de l’édification de constructions et non en qualité de terrains d’agrément de la construction existante.

En pratique, pour sécuriser la qualification de terrain à bâtir au moment de l’acquisition, il convient donc d’avoir une parcelle distincte et d’en tirer les conséquences dans la clause désignation qui doit viser plusieurs immeubles, dont le terrain à bâtir.

Le régime de la TVA sur marge n’est donc encore pas totalement stabilisé et est très probablement amené à disparaître presque totalement, mais à ce jour, les assujettis revendeurs peuvent s’appuyer sur la doctrine administrative pour sécuriser leurs opérations en cours ainsi que sur la jurisprudence du Conseil d’État pour la rédaction des clauses de désignation afin de bénéficier du régime de la TVA sur marge.

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