Les passionnés d'ondes de Fourvière

Associatif / En haut de la colline de Fourvière se cache le club radioamateur de Lyon. Depuis une centaine d’années, les passionnés s’y retrouvent pour échanger sur leur passion.

« Appel général de Foxtrot-Six-Alpha-Uniform-Echo, repasse à l’écoute. Appel général de Foxtrot-Six-Alpha-Uniform-Echo, repasse à l’écoute… »

Dans les couloirs d’un vieux bâtiment de la colline qui prie, à quelques pas des théâtres romains de Fourvière, une voix résonne, comme à la recherche d’une réponse. Elle répète plusieurs fois la même phrase avant de s’arrêter et d’attendre. Quelques instants plus tard, une autre voix se fait entendre :

« Foxtrot-Six-Alpha-Uniform-Echo, ici Foxtrot-Un-Golf-Alpha-Alpha, prénom de l’opérateur Michel, QTH La Rochelle. Je vous rends la parole. »

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Ce premier appel, c’est René Buttin, le président du Club radioamateur de Lyon qui l’a lancé. Depuis près de cent ans, le club rassemble les passionnés de radio et leur offre un endroit où se retrouver et échanger, tout en proposant aux néophytes de découvrir le hobby.

Le radioamateurisme, kézako ?

Dès son introduction auprès du grand public, la radio est devenue incontournable ; elle a permis aux foules d’écouter de la musique avant la démocratisation de la musique sur vinyle ou cassette, et a informé des générations d’auditeurs chez eux ou en voiture. Aujourd’hui, elle reste toujours très populaire : selon un sondage Médiamétrie de 2024, plus de 69 % des Français écoutent la radio quotidiennement, soit environ 39 millions de personnes.

Dans les années 1920, de nombreuses personnes se sont intéressées au télégraphe sans fil et ont demandé que des stations privées puissent être installées plutôt que de devoir se rendre dans un bureau des PTT : c’est le début du radioamateurisme ! Avec le temps, les passionnés ont utilisé de nouvelles technologies pour capter d’autres longueurs d’ondes ou les moduler différemment (AM, FM…), souvent en construisant leur équipement eux-mêmes.

Station radioamateur polonaise en 1950. Photo Narodowe Archiwum Cyfrowe

L’arrivée de récepteurs et émetteurs low cost sur le marché a aidé à populariser le radioamateurisme auprès des masses dans les années 1950. Cependant, l’arrivée d’Internet dans les années 1990 a vu baisser la cote de popularité du radioamateurisme en faveur de solutions plus faciles pour communiquer avec des inconnus à l’autre bout du monde.

Depuis, le radioamateurisme reste un hobby méconnu : peu de gens connaissent son existence, ne savent pas comment se lancer ou ne comprennent tout simplement pas son intérêt.

Derrière le micro

Lorsque l'on rentre dans les locaux du Club radioamateur de Lyon, un grand couloir nous accueille : les salles se succèdent, entre atelier, bibliothèque et stations dédiées. Quelques instants plus tard, René Buttin, le président du club, nous fait visiter le bâtiment. C'est à 14 ans, qu'il a vécu ses premiers « émois radiophoniques » en écoutant les ondes courtes sur le poste de ses grands-parents. « À l’époque on parcourait les fréquences, et à un moment on entendait quelque chose qui ne ressemblait pas aux radios commerciales. On écoutait les conversations des gens, et on voulait faire pareil », se souvient-il avec tendresse. Aujourd’hui à la retraite, il vit pleinement sa passion en s’occupant de la gestion du club et de l’organisation d’évènements.

Après avoir fait un petit tour, il explique ce qu’est un club radioamateur : « Certains radioamateurs sont plus intéressés par l’échange, tandis que d’autres ne communiquent que peu mais sont très bons avec le fer à souder : ils développent, conçoivent et fabriquent des antennes, des émetteurs et des récepteurs, certains pour eux-mêmes ou pour leurs proches, et d’autres en plus grand nombre pour les commercialiser. »

Au sein du hobby, plusieurs sous-disciplines existent : certaines personnes font de la télégraphie (communiquer en morse), d’autres transmettent des images, d’autres encore utilisent des satellites ou même des talkies-walkies via des relais. Même si les moyens changent, le but reste toujours de communiquer avec d’autres personnes via un moyen analogique (en l’occurrence, des ondes magnétiques) plutôt que numérique (encoder la voix en binaire pour l’envoyer via des réseaux informatiques).

Studio de télévision amateur du Club REF 69. Photo Enzo Martinez

Une pratique encadrée

Et pour devenir radioamateur, il ne suffit pas d’acheter un émetteur et de commencer à envoyer des appels, car la loi encadre la pratique. Pour être en règle, avant d’émettre, il faut passer un examen qui donne le droit de manipuler une station d’émission. Cet examen est régi par l’ANFR, l’Agence nationale des fréquences, et valide les connaissances du candidat. Comme pour le permis de conduire, il est divisé en deux parties : une théorique (la règlementation, les fréquences autorisées…) et une pratique, pour valider un fond de connaissances minimum et s’assurer que la personne qui va manipuler sa station ne fasse pas d’erreurs avec. Une fois l’examen réussi, on reçoit un indicatif, une sorte d’immatriculation qui permet de se reconnaitre entre OM, le terme technique pour désigner les radioamateurs.

La préparation à l'examen est longue, entre trois mois et un an et tout le monde peut s’y présenter : « On a aussi bien des jeunes de 12-13 ans qui passent l’examen comme des septuagénaires qui sont passionnés et qui se lancent. Il suffit juste d’être curieux et de s’intéresser au monde des ondes et aux techniques de communication ! », précise René Buttin.

Station moderne de radioamateur au club REF 69. Photo Enzo Martinez

Et pour se préparer à l’examen, le club propose de s’initier à la pratique du radioamateurisme, de passer des cours et des formations pour se préparer à l’examen ou de découvrir de nouvelles techniques avec d’autres membres plus expérimentés.

Entre rencontres et partage

L’un des éléments les plus importants du radioamateurisme est la communauté. À travers le monde, on dénombre près de trois millions de radioamateurs. Les contacts se font très facilement sur les ondes, et les codes utilisés par les OM transcendent la barrière de la langue : quelqu’un venu du Portugal pourra facilement communiquer avec une personne de Chine en s'en tenant uniquement au jargon technique. « Sur les ondes, on n’est jamais seul : 24h/24, 7j/7, 365 jours par an on peut toujours trouver quelqu’un avec qui communiquer ! », s’amuse M. Buttin.

Le fait de joindre des personnes éloignées est d’ailleurs la motivation de certains radioamateurs, qui vont « chasser » les indicatifs d’autres pays pour obtenir des diplômes récompensant les opérateurs ayant contacté un certain nombre de pays ou des villes spécifiques, certains d’entre eux prenant une vie à obtenir. Certains OM organisent même des expéditions dans des endroits inhabités pour y installer une station temporaire, l’occasion d’obtenir un diplôme très rare pour ceux qui la contactent.

Solution de radioamateurisme en SDR, c'est-à-dire en tout digital. Photo Enzo Martinez

Aussi, des concours sont organisés au sein de la communauté presque toutes les semaines, sur internet, avec des objectifs différents à chaque fois : contacter le plus grand nombre de pays, sur le plus grand nombre de fréquences, le plus loin possible… « Les concours sont très physiques et demandent beaucoup de concentration et d’énergie : avec l’affluence, c’est la foire d’empoigne et il faut réussir à sortir des informations dans un brouhaha extrêmement intense, car presque toutes les fréquences sont occupées. Dans ces cas-là, un contact ne dure qu’une vingtaine de secondes », témoigne M. Buttin.

En France, on compte environ 14 000 OM et dans la région lyonnaise, on en dénombre près de 200, dont la moitié fait partie du Réseau des émetteurs du Rhône (ou REF 69), le club radioamateur de Lyon et ses environs. Chaque mercredi et samedi, le club organise une permanence où les locaux sont ouverts à tous, membres ou non, pour venir découvrir le hobby, poser des questions et se renseigner pour éventuellement y adhérer. En adhérant au club (40 € par an ou 20 € pour les conjoints de membres, les chômeurs et les étudiants), on peut accéder à tous ses services, notamment ses stations, son laboratoire, son atelier et sa bibliothèque en plus des réunions mensuelles sur les actualités du club. Chaque année, le club gagne entre deux et dix nouveaux membres, et il a dépassé en juin dernier la barre des 100 adhérents.

Atelier du club, où les membres peuvent venir réparer et fabriquer du matériel avec la banque de composants disponibles. Photo Enzo Martinez

Mais le club ne se limite pas qu’à ses locaux, situés juste à côté des théâtres romains de Fourvière. L’année dernière, ils se sont associés au Centre scolaire Saint-Thomas d’Aquin, près d’Oullins et composé d’une école, d’un collège et d’un lycée pour communiquer avec des scientifiques stationnés sur les Îles Crozet, un archipel du sud-ouest de l’océan Indien faisant partie des Terres australes et antarctiques françaises. Grâce à l’entraide entre le club et des radioamateurs de l’île de la Réunion et de Maurice, les élèves des établissements scolaires ont pu poser des questions aux scientifiques sur leur travail.

Le club aide également à entretenir l’histoire et la mémoire, en participant par exemple à la commémoration des 80 ans de la capture de Jean Moulin. Pour l’occasion, ils ont fait des activations, c’est-à-dire demander à l’Agence Nationale des Fréquences de leur octroyer une fréquence spéciale que les OM pouvaient contacter pendant une durée limitée.

Et ce n’est pas tout, car le REF 69 participera à la commémoration des 80 ans du massacre du Fort de Côte Lorette à Saint-Genis-Laval les 24 et 25 août prochains. Plus tard, le club sera présent début septembre au Forum des associations avec une installation pour commémorer les 80 ans de la Libération de Lyon avant d’aller à la Fête de la science en octobre. Les occasions de les rencontrer ne manqueront pas, alors à vos micros !

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