Créations de toutes pièces : décryptage de la saison théâtrale

Rendez-vous lyonnais / Même pas peur. Malgré des budgets de plus en plus contraints par la stagnation des subventions et la hausse des coûts fixes, les théâtres de la métropole lyonnaise apparaissent combatifs avec des programmations denses et pléthoriques. Où la part faite aux textes contemporains est majeure. Débroussaillage (forcément partiel).

« Mieux produire pour mieux diffuser » nous disait une ministre d’un temps qui paraît si lointain. C’était le grand plan de réflexion du ministère de la Culture alors piloté par Rima Adbul Malak, virée en janvier, remplacée par une autre, plus éphémère encore et mise en examen pour corruption passive. À cette équation de la production/diffusion, les lieux théâtraux phares de l’agglo répondent diversement mais sans baisser les bras. Regardons les chiffres puisqu’il paraît que les compétitions estivales ont réconcilié les Français : les Célestins annoncent 307 levers de rideaux et 42 spectacles, se situant dans leur moyenne haute. La Ville – l’ancienne adjointe à la Culture Nathalie Perrin-Gilbert – a fait voter en 2022 et 2023 des crédits compensateurs pour que le montant dédié à l’activité artistique se maintienne.

Et surtout, dans cette année où leur communication prend un sérieux coup de modernité, les Célestins n’affichent que six spectacles du « répertoire » comme on dit prudemment. Tout le reste est contemporain tant les artistes sont traversés par l’époque. Ainsi il est question des entrepreneurs pollueurs dans le thriller de Lucas Samain (Derrière les lignes ennemies, 25 mars au 5 avril), de lutte des classes dans le sprint un peu mécanique de Hugues Duchêne (L’Abolition des privilèges, 10-15 déc) ou de l’absurdité de ce bas monde par le formidable duo belge Elena Doratiotto et Benoit Piret (Par grands vents, 17-20 oct). Cette jeunesse s’intercale entre (excusez du peu) Maguy Marin, Alain Françon, Cyril Teste, Emma Dante

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Romans français

Au gré des changements de directions de ces dernières années (Croix-Rousse, Clochards célestes, Célestins) et ces derniers mois (Renaissance où arrive du théâtre de Die Hugo Frison), les artistes ne dirigent plus que les CDN (c’est l’ADN de ces maisons), le Point du Jour et l’Assemblée, cette fabrique de théâtre dans le 3e arrondissement où Thomas Poulard semble trouver sa vitesse de croisière avec son spectacle Toutes les choses géniales (16 au 18 oct) de Duncan Macmillan mais offre aussi de très nombreuses possibilités de résidence (et donc des ouvertures public) comme celles du Groupe Fantomas pour Le Dernier monde de Céline Minard (23 janv) ou de la compagnie Y pour le Goncourt Vivre vite de Brigitte Giraud monté par Etienne Gaudillère (6 fév).

Les CDN vont s’unir car le TNG ne retrouvera son site de Vaise qu’en mars après de longs travaux (nouveau grill technique, meilleure visibilité de la salle) et son directeur (jusqu’en juin, fin de mandat hybride) Joris Mathieu s’installe au TNP à l’automne pour la création de Cornucopia sur la fin de l’abondance, 2e volet de sa série D’autres mondes possibles. Si Jean Bellorini, directeur du TNP, applique le mieux produire, mieux diffuser aussi, c’est en affirmant que ces « institutions se portent bien et qu’elles ont besoin de se porter mieux ».

En mode combatif donc, il met en vente 9000 places de plus que la saison dernière en jonglant avec les langues (dari, polonais, russe, italien), le jeune public, quelques contemporains (Clara Hédouin monte Baptiste Morizot en clôture de saison) mais surtout en faisant la part belle à des grands classiques qu’il défend depuis ses débuts au théâtre. Il reprend notamment ce qu’il a créé et joué 40 fois (!) devant le château de Grignan : non pas Le Cid mais Histoire d’un Cid, best-of de cette pièce majeure du XVIIᵉ siècle mené tambour battant avec son acteur fétiche toujours impressionnant François Deblock.

Pour petits et grands

L’accent est également mis plus que jamais sur le jeune public, une nouveauté dans ce CDN qui l'a longtemps boudé (sous l’ère Schiaretti). Pour les enfants, il faudra aussi aller faire un tour au théâtre de Villefranche – dont la programmation (signée Antoine Gariel pour la première fois) – est très dense avec Laughton de la grenobloise Émilie Le Roux (28 janv) nous plongeant dans l’écriture de celui qui a fait les beaux jours du TNG version Nino D’Introna, Stéphane Jaubertie. On pense aussi à la création d’Antoine Herniotte qui retrouve Laurent Brethome pour La Fille de l’eau, adaptée du conte des Frères Grimm, L’Ondine de l’étang (18 janv). Comme toujours, les Clochards célestes seront un lieu refuge pour les enfants en alternant avec des créations ayant trait au militantisme (Timlideur de Grégoire Vauquois, 2 au 7 oct) ou à la recherche de la nature pour se défaire de l’urbanité (Ce mal du pays, de Jules Bisson, du 15 au 20 janv) et même à la dette publique ! (La Grosse déprime, collectif au nom génial de Moitié moitié moitié, 27 au 31 mars). L’autre théâtre labelisé scène découverte, l’Elysée, mettra la violence d’État sur scène via Benjamin Villemagne et Sophie Divry (Les Mains coupées, 14 et 15 nov, joué à la Maison des Rancy). Au Ciel, dans l’autre lieu refuge qui a fait plus que ses preuves durant sa première saison et traite les enfants comme des égaux des grands, le sujet de l’IA sera au cœur de la création du co-directeur Matthieu Loos, (Nos intelligences, 12 au 14 déc).

Inclusif·ve

Pour toutes et tous. Plus que jamais le théâtre se veut être le lieu de l’inclusivité. Le théâtre de la Croix-Rousse, qui entame sa 30e saison, en a fait un mantra et la présence de Rebecca Chaillon ou Eva Doumbia, l'allongement du festiv·iel en sont un exemple, le Point du Jour porte aussi haut cette préoccupation et l’accessibilité en langue des signes notamment, et où il sera possible de voir Tommy Milliot mettant en scène L’Arbre à sang (13 au 15 mai) de l’australien Angus Cerini sur une mère et sa fille qui se vengent d’un père et mari violent, Guillaume Cayet ou Lucie Berelowitch et les Sorcières (21 et 22 janv) de Penda Diouf.

Ne se limitant pas à ces salles incontournables lyonnaises, la création contemporaine sera partout dans la Métropole et notamment au théâtre (tout neuf) Jean-Marais de Saint-Fons, à La Mouche de Saint Genis-Laval et au théâtre de Vénissieux, toujours plus exigeants et dont les anciennes directrices ont cédé la place à des nouvelles avec les arrivées respectives récentes de Marianne Mathieu, Elise Ternat et Duniému Bourobou.

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