La résidence alternée : est-ce automatique ?

Me Justine Vaudaine / Alors que les différentes évolutions législatives semblent converger vers la consécration de la résidence alternée comme principe de base, la réalité reste plus nuancée avec plusieurs critères vérifiés par les magistrats dans le respect de l’intérêt de l’enfant.

Vers une consécration législative de la résidence alternée comme principe de base ?

La loi de 2002 a marqué une première évolution importante en établissant une option entre fixation de la résidence de l’enfant mineur en alternance ou au domicile de l’un des parents en cas de
séparation.

Au cours des débats, la rédaction du texte a même été modifiée afin d’inscrire la résidence alternée au premier alinéa de l’article 373-2-9 du Code civil comme une consécration implicite de ce mode de résidence en tant que principe.

Dans cette même optique, a été consacrée la résidence alternée provisoire qui permet au juge aux affaires familiales de fixer une résidence alternée sur une période de quelques mois et de revoir les parties à l’issue pour décider d’un maintien de la résidence alternée ou de la fixation habituelle de la résidence au domicile de l’un des parents.

Depuis plus de vingt ans, les propositions de lois se multiplient afin de donner une place encore plus importante à la résidence alternée à l’instar de nombreux pays européens, certaines allant jusqu’à préconiser une présomption de résidence alternée sur la base du modèle néerlandais.

En France, une proposition de loi a été présentée et adoptée par le Sénat le 14 décembre 2023. Le projet de loi initial visait à voir reconnaître comme principe la résidence alternée si elle était sollicitée par l’un des parents en ces termes : « En l’absence de preuve contraire et hors les cas avérés de pressions ou violences (…), il est dans l’intérêt supérieur de l’enfant, en cas de séparation de ses parents, de prendre appui de façon équilibrée sur chacun d’eux et de bénéficier équitablement de leurs apports respectifs. À cette fin, à la demande d’un des parents au moins, la résidence de l’enfant est fixée en alternance au domicile de chacun des parents ».

Finalement, la proposition adoptée vient seulement ajouter quelques précisions textuelles aux dispositions du Code civil et l’essence même de la proposition initiale a disparu au fur et à mesure des débats et des amendements. Si les tentatives législatives se multiplient, la consécration de la résidence alternée en droit français semble difficilement émerger.

En pratique, la résidence alternée est-elle devenue le principe ?

En réalité, la résidence alternée n’est pas le mode de résidence principale en France. En effet, seuls 12 % des enfants de parents séparés étaient en résidence alternée en 2020 selon les derniers chiffres de l’Insee (chiffre en baisse de 3 % par rapport à 2015). Des professionnels de santé et notamment certains pédopsychiatres n’ont également de cesse d’alerter sur les répercussions négatives de la résidence alternée sur les enfants.

Aussi, au regard de l’ensemble de ces éléments, il apparaît nécessaire que le magistrat préserve toute latitude afin de statuer dans le respect de l’intérêt de l’enfant mineur. Les critères appréciés sont principalement ceux de l’article 373-2-11 du Code civil complétés par d’autres critères plus subjectifs.

De manière non exhaustive, il est possible de lister les suivants :

– La pratique mise en place par les parents : il s’agit d’assurer au maximum une stabilité à l’enfant si une pratique a été adoptée depuis plusieurs mois d’un commun accord.

– La proximité géographique : le magistrat veille à ne pas faire supporter à l’enfant des trajets trop importants et à ce qu’il puisse avoir un lieu de scolarisation qui se situe à proximité des domiciles parentaux.

 L’âge de l’enfant : contrairement aux idées reçues, il n’existe pas d’âge minimal. Certains juges n’hésitent pas à mettre en place une telle résidence chez un enfant âgé de moins d’un an, notamment s’il s’agissait de la pratique adoptée par le couple avant sa saisine. De manière générale, les magistrats retiennent plus facilement l’âge de la scolarisation, soit 3 ans. Cet âge est également repris par certains pédopsychiatres (Bernard Golse). En tout état de cause, l’âge moyen des enfants en résidence alternée est de 11 ans selon les derniers chiffres de l’Insee (2020).

 L’entente entre les parents et la capacité de chaque parent à respecter les droits de l’autre : même s’il est de jurisprudence constante que la mésentente entre les parents ne doit pas faire obstacle à la mise en place d’une résidence alternée, il s’agit d’une motivation récurrente dans les jugements en matière familiale.

– Les capacités de chacun à accueillir l’enfant : le magistrat apprécie les capacités éducatives et matérielles des parents (logement adapté, articulation entre vie professionnelle et prise en charge de l’enfant au quotidien…).

– Les résultats des éventuelles expertises ou enquêtes : en cas d’enquête sociale, d’expertise psychologique ou psychiatrique, les résultats pourront guider le choix du magistrat.

– La volonté exprimée par l’enfant mineur : sur le fondement de l’article 388-1 du Code civil, le mineur capable de discernement (en moyenne à partir de 10 ans) peut être entendu et sa position sera prise en considération par le magistrat.

– Les éventuelles pressions exercées par un parent sur la personne de l’autre : les magistrats restent attentifs à l’emprise que peut avoir un parent et à la pression qui pourrait être maintenue par l’intermédiaire de la résidence alternée.

En pratique, la résidence alternée reste un mode de résidence marginal. En tout état de cause, l’appréciation concrète de chaque situation familiale par un magistrat demeure nécessaire et une automaticité de la résidence alternée pourrait venir entraver cette liberté d’appréciation.

S’emparer de la solution intermédiaire de la résidence alternée provisoire : une solution sur le long terme ?

Trop souvent, l’opposition de l’un des parents à la mise en place d’une résidence alternée fait obstacle à toute alternance. Or souvent, ce refus masque un conflit parental important. La crainte de placer l’enfant au milieu du conflit et de le voir devenir le messager de ses parents motive fréquemment les décisions des juges.

Toutefois, fixer la résidence au domicile de l’un des parents n’apparaît pas nécessairement comme la solution opportune car elle vient figer le conflit et n’incite pas les parents à la communication.

En effet, malgré l’exercice conjoint de l’autorité parentale, souvent, le parent avec qui réside l’enfant va prendre seul les initiatives. Aussi, l’autre parent qui exerce « uniquement » un droit de visite et d’hébergement va se retrouver mis à l’écart et les relations parentales vont ainsi se dégrader.

Or, coupler une résidence alternée provisoire avec une mesure de médiation familiale peut permettre de trouver un apaisement sur le long terme et ce, dans l’intérêt de l’enfant mineur.

Cette solution permet d’éviter que l’enfant ne devienne l’enjeu de la séparation et que l’un des parents ne se considère comme « gagnant ».

En effet, même si, dans un premier temps, les parents peuvent se sentir contraints de subir la mesure au risque de voir la résidence de leur enfant fixée au domicile de l’autre parent à l’issue de la période provisoire, il n’en demeure pas moins que cette contrainte peut se transformer en élément déclencheur au fur et à mesure des réunions de médiation.

Par la suite, cette double résidence peut permettre de responsabiliser chacun des parents et d’instaurer un dialogue constructif en réduisant progressivement le conflit.

Finalement, en matière familiale, chaque situation doit être appréciée dans sa singularité et comme repris par les magistrats de la cour d’appel d’Aix-en-Provence : « La résidence alternée n’est pas automatique mais une possibilité particulière d’organisation de l’exercice conjoint de l’autorité parentale dont l’intérêt doit être apprécié au cas par cas » (CA Aix-en-Provence, 27 mai 2004, n° 03-09390).

La résidence alternée n’est pas le mode de résidence principale en France.
En effet, seuls 12 % des enfants de parents séparés étaient en résidence alternée en 2020 selon les derniers chiffres de l’Insee.

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