Le retraité frontalier

Me Maria Ongaro, avocat au barreau de Thonon-les-Bains, du Léman et du Genevois / Le départ à la retraite constitue une étape importante pour toute personne et en particulier pour les frontaliers. Voici quelques repères pour mieux comprendre comment sera imposé le futur retraité et comment il peut s’y préparer au mieux.

Deux systèmes de retraite bien différents

L’actualité en matière de retraite voit une réforme en France visant à unifier le système morcelé entre plusieurs régimes spéciaux et le relèvement de l’âge du départ à 64 ans. Quant à la Suisse, le législateur a augmenté les cotisations et relevé l’âge de départ de 64 à 65 ans. Dans les deux systèmes, le salarié du régime du privé touche une retraite de base qui est versée en France par la CNAV (via ses caisses régionales) pour ceux qui ont cotisé en général entre 166 et 172 trimestres et une retraite complémentaire servie par l’Agirc Arcco (sauf régime agricole) sur la base des « points retraite » cumulés au cours de la vie professionnelle.

Les cotisants français (salariés ou non) peuvent augmenter leur retraite via divers dispositifs défiscalisés qui permettent la déduction des versements des revenus imposables. Le système helvétique est fondé sur trois piliers : un premier pilier correspondant à l’assurance-vieillesse et survivants (AVS), un deuxième pilier de prévoyance professionnelle donnant la possibilité aux employeurs d’« abonder » au profit des salariés et enfin un troisième pilier composé des versements volontaires des cotisants qui peuvent déduire ces montants de leur imposition. Pour les frontaliers, depuis 2021 il n’est plus possible de bénéficier de la déductibilité des sommes versées au titre du troisième pilier à moins de justifier du statut de quasi-résident.

Face à ces deux systèmes, le frontalier futur retraité devra d’abord liquider ses droits auprès de la caisse compétente. Il devra étudier les options de déblocage du deuxième pilier et tenir compte des possibles changements au titre de l’assurance maladie : en effet le départ à la retraite implique un vrai changement et aussi la réouverture du droit d’option pour certains cotisants. Le futur retraité devra aussi comprendre comment sera évitée la double imposition entre la France et la Suisse au vu de la convention fiscale de 1966.

Les organismes compétents

Le règlement communautaire 883/2004 et son règlement d’application 987/2009 sont les textes fondateurs en matière de coordination des systèmes de sécurité sociale et nous donnent les clés quant au choix de l’organisme auprès duquel solliciter la liquidation de la retraite. Concrètement il s’agira de la Caisse de compensation suisse ayant perçu les cotisations AVS pour les frontaliers ayant réalisé l’intégralité de leur carrière en Suisse, et de l’organisme compétent dans le pays de résidence (notamment la Caisse régionale de la Carsat pour la France ou la MSA) pour le retraité ayant exercé une partie de l’activité en France et une partie en Suisse. Les frontaliers ont toutefois la possibilité de s’adresser directement à l’organisme dans leur pays de résidence et celui-ci enverra, si besoin, le dossier auprès des autorités helvétiques.

L’attribution d’une retraite française pour le poly-pensionné

Les frontaliers à la retraite sont souvent des poly-pensionnés bénéficiant d’une retraite française et d’une retraite suisse, car il est rare d’avoir exercé uniquement en Suisse pendant toute sa carrière professionnelle. Or, l’attribution et le versement d’une retraite française impliquent deux conséquences majeures pour les retraités frontaliers :

  • La première est l’assujettissement obligatoire au régime d’assurance maladie française ;
  • La seconde (qui dépend en partie de la première) est l’assujettissement à la CSG CRDS soit une « taxation » complémentaire pouvant arriver à 17, 2 % pour les revenus immobiliers et du patrimoine ;

Pour rappel, depuis 2019, les contributions de la CSG CRDS sont applicables aux personnes qui sont à la charge d’un régime obligatoire de sécurité sociale française. De ce fait les frontaliers sont exonérés de ces contributions hormis pour la contribution de solidarité de 7, 5 %. À la lumière de cette situation beaucoup de frontaliers se sont interrogés sur l’opportunité de renoncer définitivement au bénéfice d’une pension française. Et en 2003, la Cour de cassation a eu l’occasion de se prononcer à faveur de la possibilité de renoncer définitivement au bénéfice d’une pension, mais il s’agissait d’un poly-pensionné bénéficiant uniquement des prestations françaises.

Il n’est donc pas rare de voir certains gestionnaires de patrimoine proposer cette option après simulations des montants à percevoir. À ce stade, il faut savoir que les organismes de prévoyance compétents procéderont à un double calcul de la retraite de base à verser : un premier selon la législation applicable dans le pays concerné (à savoir la France) et un second calcul « européen » en tenant compte de toutes les périodes d’activité exercées dans les différents États (avec une retraite « théorique » au prorata des trimestres validés dans chaque pays). Le montant le plus élevé sera retenu.

Le déblocage du deuxième et du troisième pilier

À ce montant s’ajouteront les versements du deuxième pilier à solliciter auprès de la caisse de prévoyance choisie par l’employeur (notamment le dernier employeur). Dans la plupart des contrats, le frontalier devra choisir entre un versement en rente et un versement en capital même si certaines caisses imposent une seule typologie de versement. Parfois, il sera même possible d’effectuer un panachage avec une partie du versement en capital et une partie en rente.

Les sommes versées en capital s’avèrent souvent conséquentes et la fiscalité applicable en France est plutôt favorable. La déclaration pour ces sommes devra être établie l’année suivante la mise à disposition des fonds. Il est important de préciser que l’imposition du capital sera due dès que les sommes seront disponibles et donc même si elles sont versées sur un compte de libre passage ou même sur le compte suisse du contribuable. Ces capitaux subiront une première taxation à la source en Suisse qui dépendra du montant, du canton et de la situation du contribuable (marié ou célibataire) et qui sera comprise entre 5 et 11 %. Ce montant pourra être récupéré par le contribuable français, dès lors qu’il pourra attester auprès des autorités helvétiques qu’il a bien déclaré les sommes en France et qu’il a bien reçu un avis d’imposition correspondant.

Et pour déclarer ces sommes en France, le contribuable aura plusieurs options :

  • soit pour la majorité : une taxation forfaitaire de 6, 75 % sur la totalité des fonds ;
  • soit une taxation selon le système du quotient pour les revenus exceptionnels ;
  • soit une taxation au barème d’imposition sur les produits mobiliers perçus.

Le montant du capital sera également assujetti à la CSG CRDS, si le frontalier n’est plus à la CMU ou à la LAMal, et donc s’il se retrouve à la charge du régime obligatoire français d’assurance maladie. Enfin, en ce qui concerne les retraites versées en rente, elles seront soumises au barème d’imposition et à la CSG CRDS, toujours si le retraité se retrouve à la charge du régime obligatoire d’assurance maladie. En ce qui concerne le troisième pilier la taxation sera limitée aux produits perçus si les sommes versées n’ont pas été déduites des revenus imposables pendant les années de constitution du capital.

Il est prioritaire d’étudier les options de déblocage anticipé ou posticipé, selon les règles imposées prévues par la caisse compétente et la réglementation en vigueur pour éviter ou choisir la meilleure imposition des montants.

Les retraités du seul système suisse

Pour les retraités du seul système suisse, la taxation sera la même avec toutefois la possibilité d’éviter l’assujettissement à la CSG CRDS grâce au choix de maintenir ou choisir le régime d’assurance maladie suisse. Comme indiqué, la liquidation des droits à la retraite constitue en effet l’un des cas de réouverture du droit d’option. Mais le tel choix ne devra pas être dicté uniquement par la volonté d’éviter l’imposition mais aussi de la situation personnelle du retraité. Et rappelons qu’une contribution de 7, 5 % demeure applicable.

La double imposition et le mécanisme du crédit d’impôt

Comme pour les salaires, les pensions et retraites versées par un organisme helvétique ou français au profit du résident d’un autre pays bénéficient des règles de la convention fiscale de 1966 visant à éviter la double imposition des revenus et de la fortune dans les deux pays. En général le principe applicable est celui de la taxation dans le pays de résidence sauf pour les pensions servies par des organismes publics (notamment les retraites des fonctionnaires) sur lesquelles les autorités compétentes helvétiques et françaises prélèvent un impôt à la source. Dans ce cas, comme pour les traitements et salaires des salariés genevois, le pensionné résident en France devra déposer sa déclaration et bénéficiera pour les sommes déjà taxées en Suisse d’un crédit d’impôt égal à l’impôt français. Dans les autres cas, les montants seront pleinement imposés en France.

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