La résiliation des marchés publics de travaux pour motif d'intérêt général

Me Christophe Laurent / La résiliation unilatérale pour motif d’intérêt général constitue l’une des prérogatives exorbitantes du droit commun dont dispose la personne publique en matière de contrat administratif. Une telle prérogative ouvre néanmoins droit dans certaines conditions à l’indemnisation du cocontractant de l’administration.

Les modalités de la résiliation pour motif d’intérêt général

La résiliation pour motif d’intérêt général permet à la personne publique de mettre prématurément un terme à un marché public, cette décision s’imposant à son cocontractant.

Si la résiliation pour motif d’intérêt général trouve son origine dans une décision d’assemblée du Conseil d’État du 2 mai 1958 (Distillerie de Magnac-Laval), il faudra attendre l’année 2019 pour que ce pouvoir exorbitant de l’administration soit consacré sur le plan législatif.

L’article L.6.5° du Code de la commande publique énonce le principe selon lequel « l’autorité contractante peut résilier unilatéralement le contrat dans les conditions prévues par le présent code ».

Ce pouvoir de résiliation unilatérale pour motif d’intérêt général ne se limite pas aux seuls contrats de la commande publique. Il s’étend également aux différents contrats administratifs, tels que les conventions d’occupation du domaine public (Conseil d’État, 3 mars 2017, n° 392446).

Si les motifs d’intérêt général susceptibles de justifier la résiliation du marché sont variés, l’indemnisation du préjudice du cocontractant de l’administration impose à cette dernière d’anticiper les modalités de résiliation pour motif d’intérêt général et de veiller à la motivation d’une telle décision.

Les motifs d’intérêt général susceptibles de justifier la résiliation peuvent être notamment l’abandon pur et simple du projet. L’abandon du projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes en constitue un exemple topique. Du reste, le Conseil d’État avait rendu un avis circonstancié en la matière à propos de l’abandon par le Premier Ministre de ce projet, rappelant que « l’abandon d’un projet figure au nombre des cas dans lesquels un contrat peut être résilié […] ». (Cf CE, avis, 26 avril 2018, n° 394398).

La personne publique peut résilier le contrat lorsque la continuation ne correspond plus aux exigences de l’intérêt général, au besoin des services publics. Il peut s’agir ainsi de modifications dans les besoins et le fonctionnement du service public.

Il a été également jugé qu’un contrat de concession pouvait être résilié pour un motif d’intérêt général, si le changement de répartition du capital du concessionnaire risquait d’entraîner des conflits d’intérêts (CE 31 juillet 1996, société Les Téléphériques du massif du Mont-Blanc, req. n° 126594), si la résiliation était rendue nécessaire pour respecter une disposition législative nouvelle (CAA Paris, 05 février 2020, Chambre de commerce et d’industrie de la Réunion, req. n°17PA22887).

L’analyse de la jurisprudence permet d’établir que, si le juge administratif se montre plutôt « bienveillant » en la matière, il convient de rappeler que la résiliation pour motif d’intérêt général s’opère en dehors de toute faute, ou comportement fautif du cocontractant. Dès lors, il est légitime que la personne publique soit contrainte d’indemniser intégralement le préjudice subi par son cocontractant.

L’indemnisation du préjudice, un frein au recours à la résiliation pour motif d’intérêt général

Dès 1962, le Conseil d’État a précisé qu’« en l’absence de toute faute de sa part, l’entrepreneur a droit à la réparation intégrale du préjudice résultant pour lui de la résiliation anticipée du contrat ». (Cf. CE 23 mai 1962, ministre des Finances / société financière d’exploitation industrielle, req. n° 41178).

L’indemnisation est en principe « intégrale ». Le cocontractant de l’administration peut en effet prétendre à l’indemnisation de tous les préjudices nés de la résiliation, sous réserve qu’ils soient directs et certains. Il a ainsi droit à être indemnisé des dépenses qu’il a exposées (damnum emergens) et du gain dont il a été privé (lucrum cessans).

S’agissant des investissements non amortis, il s’agit d’indemniser le cocontractant des investissements qu’il a supportés pour la construction, la réalisation, la fabrication ou l’achat de biens, qui sont destinés à devenir la propriété de la personne publique. Par ailleurs, l’administration doit également indemniser le manque à gagner du cocontractant provoqué par la fin anticipée du contrat.

Il convient de souligner que ce droit à indemnisation, reconnu par la jurisprudence, a été lui aussi consacré par l’article L.6.5° du Code de la commande publique précité, lequel dispose : « lorsque la résiliation intervient pour un motif d’intérêt général, le cocontractant a droit à une indemnisation, sous réserve des stipulations du contrat ».

La jurisprudence apporte deux précisions concernant l’évaluation du préjudice. Le juge administratif exige tout d’abord que le préjudice invoqué soit certain. Le cocontractant doit être en mesure de démontrer le bénéfice qu’il aurait réalisé du fait de l’exécution normale du contrat (Cf. CAA Paris, 25 avril 1996, société France 5, req. n° 93 PA01359). D’autre part, le Conseil d’État souligne que le manque à gagner doit être apprécié au moment de la résiliation selon les prix en vigueur à cette date. (Cf. CE 23 mai 1962, ministre des Finances / Société financière d’exploitation industrielle).

Aux termes du CCAG (Cahier des clauses administratives générales) Travaux 2021, il est rappelé qu’il appartient au titulaire du marché de présenter une demande écrite, dûment justifiée, dans le délai de deux mois à compter de la notification de la décision de résiliation. Il convient néanmoins d’articuler ce délai avec ceux visés notamment à l’article 55 du CCAG Travaux, relatif au règlement des différends entre les parties.

L’article 55.1.1 précise en effet que tout différend entre le titulaire et le maître d’œuvre, ou entre le titulaire et le maître d’ouvrage, doit faire l’objet, de la part du titulaire, d’un mémoire en réclamation et que si la réclamation porte sur le décompte général du marché, ce mémoire est transmis dans le délai de trente jours à compter de la notification du décompte général.

Le mémoire reprend, sous peine de forclusion, les réclamations formulées antérieurement à la notification du décompte général et qui n’ont pas fait l’objet d’un règlement définitif.

Il est important de souligner que ce droit à indemnisation du cocontractant de l’administration, en cas de résiliation de marché pour motif d’intérêt général, peut être anticipé ou aménagé dans les clauses initiales du contrat. Le juge administratif considère en effet que les parties ont la faculté d’écarter, en le stipulant dans le contrat, tout droit à indemnisation du cocontractant. (Cf. CE, 19 décembre 2012, société AB, Trans. req. n° 350341).

Quand bien même le droit à indemnisation du cocontractant de l’administration a été limité, voire écarté par les dispositions contractuelles, il est encore rappelé que les résiliations injustifiées et / ou fautives, engagent la responsabilité contractuelle de l’administration (Cf. notamment CE, 15 novembre 2012, Société Axima Concept, req.n°356832).

Contester la résiliation unilatérale, au motif qu’elle n’est justifiée par aucun motif d’intérêt général, prend ici dès lors tout son sens car, en cas de succès, la clause limitative d’indemnisation sera écartée par le juge et le cocontractant aura droit, en principe, à l’indemnisation intégrale de son préjudice.

L’indemnisation est en principe « intégrale » : le cocontractant
de l’administration peut en effet prétendre à l’indemnisation
de tous les préjudices nés de la résiliation, sous réserve
qu’ils soient directs et certains.

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