Le cantonnement des libéralités : un héritage à la carte

Me Alexis Romagne, notaire / Face au menu parfois trop copieux ou au jeûne qui résulte de l’option successorale, à savoir accepter ou refuser en bloc tous les biens du défunt, le cantonnement des libéralités permet de choisir et n’en recevoir qu’une partie. Focus sur cet instrument juridique méconnu du public.

Par deux réformes intervenues il y a une vingtaine d’années, le législateur s’était donné pour objectif de rénover en profondeur le droit des successions et des libéralités (donation et testament), en l’éloignant de l’ordre public napoléonien de 1804 pour laisser une place de plus en plus importante à la volonté de chacun, ainsi qu’aux arrangements des familles, tout en offrant de nouvelles possibilités de réduire le coût des successions.

L’idée directrice

Parmi d’autres innovations, et certes restée un peu dans leur ombre, la faculté de cantonnement autorise tout légataire (bénéficiaire d’un legs, par testament) comme le conjoint institué contractuel (bénéficiaire d’une donation au dernier vivant, aussi appelée donation entre époux ou institution contractuelle), à ne choisir et recevoir du défunt qu’une partie des biens de l’ensemble gratuit auquel il pourrait prétendre, le surplus revenant directement aux autres héritiers, et sans que cela ne traduise une intention libérale de sa part, avec les conséquences y afférentes.

Il admet ainsi, après le décès du conjoint donateur ou de celui qui a pris soin de rédiger son testament, le remodelage de la transmission anticipée par ce dernier à la situation du gratifié (conjoint survivant ou légataire) et de ses cohéritiers au moment du décès, souvent des années plus tard, opérant ainsi un héritage sur-mesure, adapté aux besoins actuels, tout en optimisant la fiscalité de la transmission.

Le préalable au cantonnement

La loi conditionne cette faculté à la préexistence d’une libéralité « à cause de mort », c’est-à-dire un testament ou une donation au dernier vivant. En ce qui concerne cette dernière, le cantonnement renouvelle l’intérêt qu’offre ce type de libéralité entre conjoint et peut se superposer au choix d’une des quotités alternatives la mieux adaptée. En revanche, le cantonnement ne peut concerner les avantages matrimoniaux résultant d’un contrat de mariage.

Le défunt imprévoyant, se reposant sur la seule loi pour appeler à sa succession les héritiers qu’elle désignera pour lui, restreindra l’expression de leur volonté au seul cadre indivisible de l’option successorale : le ‘‘tout ou rien’’.

Les conditions du cantonnement

Bien que le cantonnement ne puisse intervenir qu’au décès du testateur ou de l’époux qui a gratifié son conjoint et s’effectue à l’initiative du seul gratifié, le rôle du premier n’est pourtant pas négligeable, puisque celui-ci peut décider d’écarter cette faculté, s’il ne souhaite pas que ses prévisions soient altérées par la suite, mais aussi de la circonscrire dans une certaine mesure ou d’en favoriser la mise en œuvre. Il revient donc au disposant de préciser ses intentions.

En outre, cette faculté n’est possible que lorsque la succession comprend au moins un héritier désigné par la loi, et acceptant la succession, ceci afin d’assurer la transmission des biens écartés. Enfin, la volonté pour le gratifié d’exercer cette faculté est unilatérale, irréversible, et rétroactive au jour du décès.

Latitude du gratifié

Choix du gratifié quant à l’objet reçu, le cantonnement lui ouvre une grande liberté quant à l’émolument reçu (sauf volonté contraire du disposant), sous réserve que la libéralité ne soit pas elle-même trop restreinte quant à son objet.

En cela, les libéralités les plus propices à l’exercice du cantonnement, offrant une liberté de choix la plus étendue possible au gratifié, sont celles ayant pour objet l’universalité de la succession du disposant (tous les biens) et écartant toute réduction automatique en présence d’héritiers réservataires (enfant ou conjoint à défaut).

La sélection pourra se faire selon la nature des droits reçus (renoncer à la propriété pour ne conserver que l’usufruit), celle des biens (ne prendre que des meubles et non l’immobilier), une certaine quantité (10 %, 99 %, etc.) ou certains biens seulement (la résidence secondaire et le cabriolet). Choix irrévocable, le gratifié devra prendre garde de ne pas voir trop juste et considérer une dépendance future, une baisse de ses revenus ou une hausse de ses dépenses, etc.

Le sort des autres héritiers ?

Les biens exclus par le gratifié feront à nouveau partie de la succession et reviendront en fonction de leurs droits respectifs aux héritiers légaux acceptant, en bloc, ladite succession.

En aucun cas, ils ne pourront cantonner les biens ainsi reçus directement du défunt. Fiscalement, ils seront donc tenus de payer l’impôt de succession, après abattement et au taux applicable selon leur lien de parenté avec le défunt, évitant ainsi une double transmission et imposition.

Stratégies de cantonnement

Cette faculté présente des intérêts pratiques indéniables.

Elle autorise tout d’abord le gratifié, auquel elle sert prioritairement les intérêts, à sélectionner les seuls biens dont les caractéristiques, la nature et les charges inhérentes répondront au mieux à ses besoins (résidence principale et/ou secondaire, meubles, liquidités bancaires, véhicules, etc.), ainsi qu’aux projets patrimoniaux présents et futurs qui sont les siens. Avec un émolument ajusté, les patrimoines se trouvent ainsi mieux valorisés.

De surcroît, la désignation de tel ou tel bien par le gratifié évite qu’il intègre l’indivision successorale née entre tous les héritiers, et donc le partage consécutif, qui s’avérerait complexe (en raison de la nature des biens ou d’une mésentente familiale), ainsi que coûteux sur le plan fiscal. En présence d’un unique héritier aux côtés du gratifié, l’ensemble de la succession se trouvera réparti par l’effet du seul cantonnement.

En présence d’enfants, elle permet au concubin, partenaire de pacs ou conjoint survivant, de ne conserver qu’une partie choisie du patrimoine, et d’éviter ainsi le règlement d’une indemnité de réduction. Au contraire, ils peuvent également conserver l’ensemble des biens qui leur reviennent et indemniser les enfants qui l’exigent, soit pécuniairement, soit au moyen de certains biens sélectionnés (encore que le choix soit du ressort exclusif du gratifié, il sera souvent officieusement débattu avec les enfants).

En effet, un pas supplémentaire a été franchi par ces réformes, en réduisant la réserve héréditaire à un simple droit à une indemnité et non plus aux biens successoraux eux-mêmes.

Partant, si le disposant fait le choix de transmettre l’ensemble de ses biens au gratifié, ses héritiers réservataires, s’il en existe, ne pourront pas en obtenir la restitution. Cantonner est un autre moyen de laisser des biens successoraux aux réservataires.

Aussi, une clause bénéficiaire d’assurance-vie peut intégrer un équivalent, en stipulant par exemple qu’en cas de cantonnement par le conjoint des biens qu’il tient de la donation au dernier vivant, le capital lui reviendra à concurrence de la même quotité, le surplus revenant à un tiers désigné.

Sur le plan fiscal, le cantonnement permet au gratifié de considérer la meilleure gestion fiscale possible, eu égard aux mutations futures qu’il souhaite privilégier. Pourquoi recueillir plus aujourd’hui si cela doit augmenter considérablement le coût de la transmission demain ? Il est possible dès le premier décès d’étudier l’incidence fiscale des transmissions successives, en vue de choisir la solution qui, à terme, offrira l’économie maximale.

Outil aussi utile que subtil à manier, à l’environnement fiscal favorable et réservé à ceux dont le défunt aura été prévoyant, il ne doit pas être omis ou négligé tant à l’occasion de l’établissement du testament ou de la donation entre époux, que lors du règlement de la succession dans laquelle les conditions de mise en œuvre seraient réunies.

Le conseil et l’accompagnement d’un notaire permettant de subtiles stratégies successorales sont en la matière primordiaux.

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