Thomas Jolly : « Je ne suis pas monsieur gros spectacles ! »

Starmania

LDLC Arena

Du 9 au 13 octobre 2024, à 20h sauf samedi à 15h et 20h et dimanche à 15h

Entretien / Après un premier passage il y a un an et demi, la nouvelle version de l'opéra-rock "Starmania" revient à Lyon, cette fois à la LDLC Arena. L'occasion de poser quelques questions à son metteur en scène Thomas Jolly, l'homme qui était également cet été aux commandes des cérémonies des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris.

En deux ans, Starmania a dépassé le million de spectateurs, grâce notamment à une importante tournée en France et dans quelques pays francophones. Vous attendiez-vous à un tel succès public lorsque vous avez accepté de mettre en scène une nouvelle version de ce spectacle créé il y a 45 ans ?

Thomas Jolly : Je savais que l’œuvre, qui n'avait pas été remontée depuis de nombreuses années, était attendue. Après, je ne pouvais pas me douter que les différentes générations se la transmettraient à ce point. Les salles ne sont pas pleines de gens qui seraient uniquement dans la nostalgie de la version de 1979 ou de celles des années 1980 et 1990, mais elles sont pleines d'un public très varié, avec notamment de nombreux jeunes émerveillés. Le million de spectateurs, c'est ça : Starmania est une œuvre populaire qui parle au cœur des gens, n'importe où, n'importe quand.

Le succès peut aussi s'expliquer par l'aspect précurseur de l’œuvre de Michel Berger et Luc Plamondon, dont le récit n'apparaît pas daté aujourd'hui...

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Oui, Starmania a anticipé de nombreuses choses actuelles. On peut y reconnaître des personnalités, des stratégies politiques, mais aussi des contextes sociaux – l'anxiété écologique, par exemple, ou les questions de violences urbaines. Il y a aussi cette soif d'images et de popularité très contemporaine ; les chaînes d'info en continu... Sur les questions de genre, c'était également précurseur. Luc Plamondon a quand même inventé une société où l'homosexualité et la fluidité de genre sont complètement intégrées, alors que ce n'est toujours pas acquis aujourd'hui ! Starmania a encore de belles années de prophéties devant lui.

Cette nouvelle version s'inscrit dans un mouvement actuel de retour en grâce des comédies musicales, même si Starmania n'en est paradoxalement pas vraiment une...

Starmania a initié un mouvement sur la comédie musicale en France, même s'il y avait eu juste avant La Révolution française par exemple. Mais il est sans doute un peu à part. Michel Berger n'aimait d'ailleurs pas qu'on dise "comédie musicale", c'était plutôt pour lui un spectacle musical, ou un opéra-rock comme il a été présenté. Parce que c'est un objet singulier qui n'est pas formaté. Selon les versions, il est même complètement réadapté, des chansons partent, reviennent, des personnages disparaissent, réapparaissent... Un peu comme du Shakespeare !

Comment avez-vous travaillé la mise en scène, vous qui venez du théâtre ?

Quand on me l'a proposée, je trouvais que le livret était un peu nébuleux, les chansons avaient pris beaucoup de place. J'ai voulu redonner le contexte narratif et dramaturgique du spectacle. Je suis donc allé chez Luc Plamondon pendant plusieurs semaines. On a sorti toutes ses archives depuis la fin des années 1970, et on a rebâti un livret qui soit non pas différent – on n'a pas changé une ligne, si ce n'est deux-trois temps de verbes comme nous sommes maintenant après l'an 2000 – mais qui redonne au récit sa puissance. Puis, avec mon équipe, on a essayé de faire un objet qui soit à la fois élégant, moderne et respectueux de l’œuvre.

Au vu du succès, une captation vidéo ou sonore du spectacle est-elle envisagée ?

[longue réflexion] Je peux seulement répondre que c'est mon souhait. J'aimerais qu'on enregistre les voix de ces artistes exceptionnels et les arrangements musicaux fabuleux de Victor Le Masne [avec qui il a également travaillé sur les JO – NDLR], pour que tout le monde puisse écouter ça. Mais on est là dans des problématiques de production qui me dépassent.

Contrairement à ce qu'on entend habituellement, en parlant de diversités juxtaposées voire entremêlées, on crée de l'unité.

Cet été, vous avez mis en scène les cérémonies d'ouverture des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris. Comment allez-vous après cet immense temps fort ?

Ça va bien, je n'ai aucune "JOstalgie" ! Je suis très heureux de la séquence, de tout ce qu'on a proposé au public avec les différentes cérémonies, mais aussi heureux de ce qui a pu être vu, constaté, vécu pendant ces Jeux. Non, cette ferveur fédératrice n'était pas une hallucination collective ! Ça remet à jour des outils structurants pour faire société que sont le sport et, me concernant, le spectacle vivant.

La première cérémonie, avec ses différents tableaux sur la Seine, a été un grand spectacle suivi par quelque 24 millions de téléspectateurs rien qu'en France. Comment l'avez-vous imaginée ?

L'objectif d'une cérémonie comme celle-ci, c'est de souhaiter la bienvenue aux athlètes du monde entier et de présenter une carte d'identité du pays, de la ville hôte. La question sur laquelle nous devions travailler, c'était donc : c'est quoi la France ? On a réfléchi deux ans sur le sujet. Et maintenant que c'est passé, je suis non seulement heureux du résultat, mais aussi ému par ce sentiment d'appartenance qui a été vécu, ressenti, par une très très très très [sic] grande majorité de gens. Puisque contrairement à ce qu'on entend habituellement, en parlant de diversités juxtaposées voire entremêlées – par exemple Aya Nakamura avec la Garde républicaine –, on crée de l'unité.

Certaines personnes ne l'ont pas reçu de la sorte, il y a eu du harcèlement de l'extrême droite.

Ça a été violent, avec du harcèlement, beaucoup de messages de haine, d'insultes, d'intimidations, de menaces... Et pas que pour moi mais aussi pour certains artistes – étrangement, que des artistes attaqués sur leur physique, leur sexualité ou leur genre. Alors qu'on a simplement envoyé un hymne à l'amour général qui affirme que chacun a une façon d'être au monde qui est légitime dans ce pays. Maintenant, si certaines personnes ne sont pas pour cette réalité, je ne sais pas vraiment quoi leur dire à part que leurs discours relèvent du délit [il a porté plainte pour cyberharcèlement – NDLR] et qu'ils n'ont donc pas leur place dans la République. Heureusement, ils sont minoritaires.

Voyez-vous une filiation entre des aventures gigantesques comme les JO ou, dans une moindre mesure, Starmania, et le reste de votre parcours ?

Oui, car le théâtre est un art du très grand nombre et on l'a oublié. Souvenons-nous qu'en Grèce antique, ils jouaient dans des théâtres de 20 000 places ! Là, avec les JO notamment, j'ai pu constater l'impact du spectacle vivant sur le très grand nombre, ce qui a fait le lien avec ce que j'ai appris au lycée et à la fac, à savoir que l'art réunit et fédère la cité.

Que pouvez-vous avoir envie de faire après de tels projets ?

On m'a déjà posé plusieurs fois la question, notamment après Henry VI [un spectacle de 18h qui, en 2014 à Avignon, l'a installé sur la scène théâtrale française – NDLR]. Pour moi, la mesure ou la démesure n'est pas la question. Ce qui est important, c'est une création qui va m'apprendre quelque chose en tant qu'artiste, et qui va s'adresser au plus grand nombre – ou du moins à du monde. Donc le prochain projet, que ce soit un grand film ou une pièce dans un petit théâtre, tant que ces deux critères sont là, je suis le plus heureux. Car attention, ça risque de me pendre au nez après Henry VI, Starmania et les JO : je ne suis pas monsieur gros spectacles ! Je suis juste un artiste qui essaie de donner des clés de compréhension des outils pour le temps qu'on a à vivre en commun.

Starmania
Du mercredi 9 au dimanche 13 octobre à la LDLC Arena (Décines-Charpieu) ; 29 à 99


Son et lumières

Un choc visuel autant qu'auditif, c'est le double effet de cette nouvelle version de Starmania, incroyable succès depuis son dévoilement il y a deux ans. De cette histoire à multiples personnages (Zéro Janvier, sorte de Trump avant l'heure ; Marie-Jeanne, serveuse automate bouleversante ; Johnny Rockfort, nihiliste violent...) et multiples tubes (Quand on arrive en ville, Le Blues du businessman, Un garçon pas comme les autres, SOS d'un terrien en détresse...), Thomas Jolly a fait une aventure maîtrisée de bout en bout. Une sorte de drame shakespearien contemporain chanté déployé avec force de moyens – que de lumières ! Des moyens grandioses qui sont pourtant tout sauf de l’esbroufe mais permettent littéralement d'emmener le public dans cet autre monde qu'est Monopolis. Le Monde est stone, certes, mais vivons-le Les Uns contre les autres grâce au merveilleux sens du spectacle de Thomas Jolly.

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