Le livre de Jérémie

Canalisant ses débordements trash par une direction artistique bluffante, Asia Argento affirme ses velléités de cinéaste avec une sensibilité qu'on lui soupçonnait fortement. François Cau


Sur le papier, on en venait presque à craindre le pire : l'alliance d'Asia Argento, la Scarlet Diva, et de JT Leroy, fulgurante sensation littéraire white trash, humait bon le nouvel étendard d'une hype en mal de héraults. À la vision du film, on ne peut que s'incliner, et pourtant le pari était loin d'être gagné. Deuxième volet de son exploration autobiographique vomissant une catharsis pour le moins déroutante, le deuxième roman de JT Leroy s'arrête sur les années les plus "rock'n'roll" vécues par l'auteur dans sa jeunesse, entre une mère junkie écumant les bars routiers et des grands-parents sevrés à l'intégrisme. En symbiose avec l'œuvre originale, l'Amérique représentée ici vaut tous les Michael Moore réunis ; les figures masculines successives (presque toutes campées par des seconds rôles prestigieux) bouffent à tous les râteliers de la dégénérescence sociale, l'hypocrisie catholique est omniprésente (jusque dans une hilarante séance d'aérobic télévisuelle), la charge glauque et pessimiste est appuyée, mais contribue à l'impact indéniable du film. Plus important, la somme de tous ses partis pris n'a pas fait perdre de vue l'essentiel à Asia Argento : l'empathie monstrueusement émouvante pour ce gamin durablement marqué par la vie.TraumaSi elle s'approprie pour son personnage de mère déglinguée les pires aspects du roman (la prostitution en particulier), la réalisatrice détourne souvent les yeux de l'horreur frappant les (exemplaires) acteurs principaux campant Jérémie à des âges différents. Au-delà des atrocités décrites, encaissées avec une passivité des plus violentes par les interprètes, ce désir inconscient de protéger ses acteurs emmène le film vers des digressions oniriques déstabilisantes, des intermèdes animés se chargeant des respirations pesantes du récit. Une touche atypique permettant néanmoins au film de trouver son équilibre, de le dégager du simple brulôt déversant sa bile nauséabonde. À mille lieux des expérimentations et autres poses arty de Scarlet Diva, Asia Argento traite son sujet avec une maturité que ses détracteurs ne pouvaient lui soupçonner jusqu'alors. Tout simplement parce que contrairement à ce que vous pouvez déjà lire sur le film, elle n'en est pas le pivot égocentré ou exhibitionniste. Même si elle semble se complaire dans le rôle de l'égérie déglinguée, elle fait passer ses obsessions prégnantes au second plan pour mieux faire le lien avec sa propre histoire. La passionaria qui aura couru après ses parents la majeure partie de sa vie, fascinée par le Freaks de Tod Browning et par les marginaux en général, a trouvé ici le terrain glissant qui lui convenait le mieux, lui permettant de développer la gamme d'émotions tourmentées décelables entre les lignes foutraques de son premier film. Le livre de Jérémiede et avec Asia Argento (EU, 1h32) avec Jimmy Bennett, Peter Fonda...


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