Même pas peur !

Opéra / Wagner à Lyon, c'est rare et précieux. Siegfried à l'opéra est donc un événement. L'œuvre entière de Wagner déchaîne les passions de façon binaire, radicale et parfois caricaturale : les pro et les anti s'affrontent encore et toujours de manière irrationnelle. Pascale Clavel


Il en est ainsi de Wagner, il ne supporte pas les tièdes. Il faut l'aimer passionnément ou le haïr et même le temps n'a rien pu faire. Siegfried (3e moment de la Tétralogie ) représente ce jeune héros qui n'a peur de rien et qui pourtant aimerait bien. Confié dès sa naissance à Mime le forgeron qui a peur de tout, il vit au beau milieu d'une forêt, va devoir reforger l'épée invincible, tuer un dragon... Pour enfin connaître la peur. Ce raccourci montre à l'envi combien les légendes se ressemblent et se nourrissent des mêmes ingrédients. Pour plus de précision sur cette truculente épopée, celui qui ne veut pas aller à Bayreuth pour l'intégrale qui dure au bas mot 15 heures, peut lire dans sa totalité L'Anneau du Nibelung (légende germanique moyenâgeuse dans laquelle Wagner s'est plongé corps et âme ) ou se précipiter à l'opéra. Qualités et faiblessesSerge Dorny a eu la bonne idée de faire appel à l'audacieux cinéaste François Girard pour la mise en scène. Connu pour ses «trente-deux films brefs sur Glenn Gould», reconnu pour ses adaptations cinématographiques et théâtrales, ce touche-à-tout talentueux réussit l'incroyable pari de montrer un Siegfried onirique, merveilleux et d'une certaine manière un Wagner accessible. Girard a signé pour la première fois cette mise en scène à Toronto en 2005 dans le cadre d'une Tétralogie confiée à quatre metteurs en scène. Il précise qu'en deux ans son Siegfried a mûri : «Chaque nouvelle mouture d'un opéra est l'occasion de le faire évoluer. Et je peux dire qu'à chaque fois que je remonte Siegfried, j'en suis plus satisfait». François Girard a travaillé en grande cohérence avec Michael Levine aux décors et David Finn à la lumière. Ces trois-là ont fait un univers wagnérien qui rompt avec ces grosses machineries tape-à-l'œil voire vulgaires. Ils proposent ensemble un espace où chaque spectateur peut donner libre cours à ses propres questionnements. Le chef d'orchestre Gérard Korsten s'attache avec finesse à faire ressortir les timbres lumineux et expressifs de chaque pupitres. Les Leitmotivs sont mis en abîme autant qu'en beauté par un orchestre décidément de grande envergure. Il reste une faille : sur le plateau, Stig Andersen en Siegfried n'est plus tout à fait le jeune homme vaillant et glorieux que le public attend. Il se laisse souvent dépasser par l'orchestre et là, l'expérience ne suffit plus, sa voix est trop souvent engloutie. Matthew Best (souffrant lors de la première), campe un voyageur mi-sage, mi-Père Fouras à la voix fragile. En revanche, Robert Künzli sort du lot : son Mime fascine et inquiète à la fois, il donne à tout le plateau une véritable leçon de chant.SiegfriedDe Richard WagnerÀ Opéra de LyonJusqu'au 13 nov.


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Une bande de fauves