Homme libéré

Entretien / Figure inclassable et hyper-créative de la scène française, Philippe Katerine enchaîne depuis 15 ans les disques merveilleusement foutraques et indispensables, comme son dernier opus “Robots après tout”. Il s'est même aventuré récemment au cinéma. Conversation avec un grand esprit à l'exquise légèreté. Propos recueillis par Emmanuel Alarco


À quoi ressemble Robots après tout sur scène ? Katerine : C'est vraiment une version électrique des chansons, il n'y a plus du tout de machines, ce sont des êtres humains qui jouent de la guitare et des tambours. C'est plus souple et plus sauvage, ça répond à un vieux fantasme que j'avais, faire du bruit sur une scène. Les morceaux convenaient bien à ça, alors on est parti avec les gars [quatre anciens membres de feu les Little Rabbits, ndlr]. En fait on a eu l'idée pendant les vacances qu'on passait ensemble à Noiremoutiers. On était allongés sur la plage et ils ont dit "Tiens, on pourrait monter un groupe de rock autour de tes chansons !". Ce disque sonne comme une libération, tant musicale que corporelle... Je me sens plus à l'aise... et ça peut aller beaucoup plus loin ! Je vais vers une décontraction, je ne suis plus vraiment atteint par le moindre complexe. C'est une joie, une bénédiction, mais ça demande du travail. Aujourd'hui je me présente comme tel sur scène, sans avoir honte et puis je fais ce qui me passe par la tête, avec beaucoup d'enthousiasme. Je ne me sens pas gêné, du coup j'ai l'impression que les gens ne le sont pas non plus, donc si tout le monde se sent à l'aise... À mes débuts, sur scène, j'étais gêné, les gens aussi, tout le monde regardait ses chaussures, ça ne pouvait pas durer une éternité. Une quinzaine d'années de thérapie ! Pour le coup une thérapie qui rapporte un peu d'argent ! Accessoirement pourquoi pas, tout à fait. À ce propos, après ton passage aux Victoires de la Musique, Katerine ça vend à mort ? À mort, ça s'arrache comme des petits pains. On y est allé parce qu'on pouvait jouer la chanson et effectivement, la semaine d'après j'ai vendu 3 fois plus que d'habitude, c'est un émissaire de la maison de disques qui me l'a dit. Évidemment quand on passe à 22h30 sur France 2 un samedi soir, les gens ont accès à une chanson qu'ils ne connaissaient pas... En fait il suffit juste de présenter les choses, mais j'ai remarqué qu'on nous bouchait souvent l'accès. Donc quand ça se présente, il faut y aller. Quand tu te retournes sur ta discographie, ça t'inspire quoi ? La plupart du temps j'ai déjà oublié, donc ça paraît un peu loin... Je suppose que c'est une huître qui s'ouvre. Mais encore ? C'est une huître ! Après il faut la consommer rapidement, c'est un petit peu le problème et l'avantage. Étonnante perte de mémoire pour un maniaque du souvenir, des chiffres ou des dates comme toi... J'ai besoin de structurer un petit peu pour me sentir rassuré. J'ai besoin de fixer les choses, sinon je suis mal, c'est mon côté un peu vieux garçon. J'ai besoin de ça pour tenter de m'envoler par la suite, me sentir libre. Pas de liberté sans contrainte, le saviez-vous ?... Sinon il n'y a pas de jeu, on ne peut pas rigoler, c'est comme un match de foot sans règle. À ce propos, il paraît que tu as pratiqué le basket à un bon niveau... Absolument, à un certain niveau dirais-je. J'avais mon petit style, mon adresse. J'étais plutôt adroit à mi-distance, mais un joueur lent et parfois trop cérébral... mais collectif, ça c'est important. Après, la taille a été un problème pour accéder à un niveau supérieur et aussi ma lenteur d'exécution. Mais ces quelques qualités de collectif et d'adresse m'ont permis d'atteindre 5 ou 6 années en sélection départementale. C'est bien ou pas ? En fait sous les costumes serrés, il y avait un sportif accompli... Que j'ai tenté de retrouver, parce que je me sentais très épanoui au sein d'une équipe et dans l'expression de mon corps, ça m'a beaucoup manqué ces années durant. J'ai ce point commun avec Miossec, d'avoir fait beaucoup de basket. Miossec a fait du basket ?! Oh je ne voudrais pas voir ça, c'est sûr. Vous ne vous êtes jamais fait un petit un contre un ? Je crois qu'il aurait tout à y perdre. Il y a des humiliations inutiles qu'il vaut mieux éviter. Le basket, c'était des bonnes années pour moi et j'ai toujours voulu renouer avec cet esprit d'équipe dans la sueur. C'est un peu ce que je retrouve sur scène aujourd'hui, ainsi que dans le spectacle que je fais avec Mathilde Monnier, il y a quelque chose de cet ordre qui est très épanouissant. C'est très fort un collectif, mais c'est aussi très pénible, comme quand on se retrouve en groupe et qu'on doit aller boire un coup ou manger quelque part, c'est toujours très compliqué. Il y la joie du groupe, mais aussi cette lourdeur. Ce rapport amour-haine aux autres est très présent sur Robots après tout... C'est la clef-même de mon œuvre ! J'ai fait de la chanson pour conjurer un petit peu ce sort qui était le mien, celui du bouc émissaire ou de l'agneau égaré. En fait, je me rends compte de plus en plus que j'ai fait des chansons pour trouver à qui parler, tout simplement. Oh, je ne veux pas me faire plaindre du tout, puisqu'au fond j'ai trouvé à qui parler, mais à la base ça venait un peu de ça, d'une frustration. Pas étonnant que tes chansons soient de plus en plus libidinales ! C'est un thème qui revient souvent dans la vie. Le sexe est évidemment un pôle majeur, ce serait dommage de l'éviter comme j'ai pu le faire par le passé. Aujourd'hui l'heure n'est plus à la censure ! En ce qui me concerne en tout cas, mais à une exposition honnête de ce que je suis, c'est-à-dire à la fois triomphale et complètement pathétique.Katerine + Greg Gilgle 26 juillet à 21h, au Chapiteau du Jardin de Ville de Grenoble (dans le cadre du Cabaret Frappé)


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