Métempsycoses

Expo / Au Néon, les portraits de Jean-Luc Blanc redonnent vie et mystère à quelques visages issus des ruines d'images triviales. Jean-Emmanuel Denave


Lorsque nous rencontrons Jean-Luc Blanc au Néon, l'artiste sort d'une projection d'un film de Chantal Akerman, Toute une nuit... Il est encore dedans, remué par cette nuit, fasciné par ses images et confie toujours sortir d'une salle de cinéma le regard et les jambes "coupés". "La fascination, c'est aimer avoir du sable dans les yeux pour mieux voir" écrit-il par ailleurs dans une série d'aphorismes. Fascination et influence du cinéma : l'artiste cite d'innombrables réalisateurs, de Bergman à Tarkovski en passant par ces écrivains-cinéastes (Duras, Cocteau) qu'il apprécie parce qu'ils font partie de " ces gens qui basculent d'univers, qui déjouent les règles parce qu'ils les connaissent mal ". Fascination aussi pour toutes sortes d'images banales qu'il stocke dans des classeurs : photographies de tournages de films, reproductions d'œuvres d'art, publicités, images de magazines (de Femme Actuelle à de sordides magazines échangistes ou pornographiques, en passant par des publications scientifiques, de vieux manuels scolaires...). À l'instar d'un Malraux agençant son musée imaginaire, Jean-Luc Blanc confronte ces images, observe leurs analogies, leurs résonances, les gestes et les formes communes qui les traversent. La pose d'un mafiosi photographié dans sa baignoire pouvant alors, pourquoi pas, faire écho à une œuvre de Michel Ange...L'énigme de la fascinationEnsuite, parmi cet ensemble d'images "fatiguées" et sans intérêt particulier, il sélectionne certains visages ou personnages pour les peindre sur des toiles de petit ou grand format. On découvre ainsi au Néon un jeune type assis avec une poupée Minnie dans une main, un enfant en costume blanc, une femme nimbée d'ors avec une marguerite aux lèvres et beaucoup d'autres visages en plans serrés : une blonde de profil, un type parmi la foule... Toujours ce "bonheur d'être plongé, immergé dans les images". Observateur de l'errance des images à travers les époques, les genres et les médiums, Jean-Luc Blanc refait faire un tour de piste à certaines d'entre elles, leur insuffle une seconde ou troisième vie, "sauve quelques images de l'oubli en leur donnant un autre statut et une nouvelle lecture". Concrètement, ses portraits sont peints avec beaucoup de réalisme, sans ajout ni effet de style. Malgré tout, ils partagent une même intensité de regard, un je ne sais quoi d'étrange, et une présence simple, directe qui peu à peu, sourdement, fascine... Mais attention : "Si tu es fasciné, avec moi, tu es fichu(e). On est jamais seul au bal de la fascination : un slow sans orchestre mais sûrement avec un chœur antique à flanc de colline" prévient l'artiste dans un autre aphorisme, aussi énigmatique que ses portraits.Jean-Luc Blanc Au Néon Jusqu'au 24 juin


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