L'image au corps, le corps des images

Expo / Dans le cadre des échanges Lyon-Montréal, la Galerie Domi Nostrae accueille deux artistes québécoises et une très belle exposition sur les métamorphoses de la figuration humaine. Jean-Emmanuel Denave


Le génial Alain Fleischer, dans son dernier roman Immersion (mais aussi dans ses autres livres et l'ensemble de son œuvre plastique) ne cesse de nous rappeler que le monde des images et des simulacres est un monde flottant, infiniment réversible, infiniment dédoublé, infiniment troublant. Et qu'au cœur de ce kaléidoscope éclaté, c'est rien moins que l'identité du sujet humain, la mémoire, la sexualité, le corps, la généalogie qui se jouent, se déjouent, se rejouent... Thèmes, doubles et troubles qu'explorent elles aussi deux artistes québécoises (Dominique Paul et Ariane Thézé) à la Galerie Domi Nostrae, à travers leurs très belles et non moins inquiétantes œuvres photographiques. Celles de Dominique Paul se présentent sur les cimaises comme un étrange carnaval baroque, une sorte de bal masqué un brin pervers où les temps se brouillent, les chairs se mêlent à d'autres plus anciennes, où la chair même de l'image semble émaner d'hybridations improbables... Projetant sur des modèles vivants des diapositives de portraits peints célèbres (signés Velázquez, Holbein, Raphaël, Dürer...), l'artiste photographie ensuite le tout sur fond noir. L'histoire de l'art, littéralement, éclaire et rend visibles les corps et les visages ; l'imaginaire artistique collectif donne corps à la représentation d'individus contemporains... Mais en même temps, ce mélange, ce bain d'images s'avère bien retors : il naît de ses eaux troubles (et troublantes) des monstres, des organismes dégénérés, des êtres étranges à vous donner quelques frissons dans le dos. Enfants bâtards et mutants de l'histoire de l'art et des images, comme de la science et de la génétique. MéduseAriane Thézé (née à Angers en 1956 et exilée au Canada depuis vingt ans) poursuit quant à elle, dans Visions nocturnes (2003), son travail sur l'autoportrait à partir de la mise en scène de son propre corps. Pour cette série, elle s'est filmée avec une caméra infrarouge en train de danser dans l'obscurité de son appartement. Puis elle a sélectionné quelques images de ses vidéos et les a tirées sur de grandes toiles. On voit, dans ces photographies arrachées à la nuit par l'œil de la machine, le corps de l'artiste courbé en arrière, en suspens, figé dans une pose (pause) ambiguë... Extase, envoûtement ou frappe soudaine de la mort : le spectateur hésite quant au sens exact à donner à cette stase du temps. Reste que ce corps à l'aura verdâtre flottant parmi les ténèbres saisit le regard, hypnotise, fascine. Œil médusé par un simulacre plastique aux fondements vertigineux : image d'un instant invisible parmi le mouvement continu de la danse, image d'un corps invisible à lui-même et à l'œil nu parmi l'opacité de la nuit...Dominique Paul et Ariane ThézéÀ la Galerie Domi NostraeJusqu'au 14 janvier


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Magie et bouts de ficelle