Portraits d'Allemagne

Expo / A découvrir au Goethe Institut : l'œuvre du portraitiste et photographe Stefan Moses, superbe témoignage sur les "petites gens" et les grandes figures intellectuelles de l'Allemagne de la seconde moitié du XXe Siècle. Jean-Emmanuel Denave


Stefan Moses est, en France, un illustre inconnu. Né en 1928 à Liegnitz (ville allemande à l'époque, aujourd'hui rattachée à la Pologne), la légende de sa biographie lui attribue une vocation précoce pour la photographie : "La photographie m'avait déjà mis la main dessus quand - à huit ans - je courais à Liegnitz derrière notre chat avec la Box-Tengor" déclare Moses dans une interview. Plus sérieusement, il fuit en 1950 la dictature de l'ex-Allemagne de l'Est pour s'installer à Munich, y débute ses collaboration avec plusieurs magazines, mais aussi de nombreux voyages à travers le globe (Europe, Amérique du Sud, New York, Budapest lors du soulèvement de 1956...). En 1964, il publie dans Die Stern une série de portraits qui marquera les esprits de l'époque : des politiciens allemands posant en soulevant une haltère en bois... "Le monde est une scène" déclare Stefan Moses et cette première série de portraits atypiques marquera un tournant dans la carrière de l'artiste-photoreporter : désormais, la plupart de ses images seront soigneusement mises en scène et réfléchies.Des empaqueteuses de rollmops à Joseph Beuys"Ce qui m'intéresse vraiment, c'est l'homme. Que fait-il, que veut-il, où va-t-il ? L'homme est le centre de l'analyse..." déclare encore Moses. Concrètement, ses portraits s'attachent aussi bien aux anonymes qu'aux personnalités allemandes célèbres. On découvrira notamment au Goethe une série de portraits datant des années 1960 où, sur fond neutre, l'artiste saisit frontalement des individus classés selon leur appartenance professionnelle : des empaqueteuses de rollmops, des enseignantes de gymnastique, des balayeurs municipaux, des contrôleuses de tramway... Cette approche croisant sociologie et forte sensibilité à l'humanité de ses sujets (que Moses poursuivra tout au long de sa carrière) semble directement calquée sur l'œuvre du grand Auguste Sander. Un héritage inconscient selon les dires de l'artiste, doublé chez lui d'une grosse dose d'humour (sur ses photos, ses sujets se payent souvent une bonne tranche de rigolade). Autres séries remarquables présentées au Goethe : des portraits d'intellectuels dont l'image se découvre réfléchie sur un miroir (belles photos du philosophe Adorno ou de l'écrivain Ernst Jünger par exemple) ; et des portraits d'artistes dont le visage est plus ou moins voilé par un masque, un bout de tissu ou un objet incongru (Otto Dix les yeux cernés d'une paire de ciseaux, le peintre Immendorf caché derrière un masque cyclopéen...). Cette très belle exposition se termine sur plusieurs images plus "spontanées" : clichés pris sur le vif de la vie politique allemande, regard noir de Joseph Beuys sous son incontournable chapeau, billes des yeux d'Heinrich Böll roulant vers le ciel...Stefan MosesAu Goethe InstitutJusqu'au 16 décembre


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