Pavé d'humanité


Livre (2) / Drôle de titre que ce Stanley Kubrick : L'Humain, ni plus ni moins. Dans son livre de référence (sobrement intitulé Stanley Kubrick), Michel Ciment avait posé l'articulation fondamentale entre passion et raison qui traverse toute l'œuvre du cinéaste américain. Michel Chion la reprend ici, en montrant comment sous un cinéma à l'image reine, exceptionnel de maîtrise et bardé de rituels narratifs, subsiste dans presque tous ses films, et notamment les trois que Chion considère comme ses chefs d'œuvre (2001, Barry Lyndon et Eyes wide shut), une interrogation fondamentale sur la condition humaine. Derrière le "cinéma surexposé" de Kubrick, donnant volontiers à voir les mécanismes du cinéma lui-même, éclatant les différents médiums d'un film (image, son, musique, voix-off, cartons...) plutôt que de les fusionner, ce sont les thèmes du doute, du mystère et de la lucidité qui sont les plus récurrents. Chion souligne par exemple avec justesse l'âme littéraire de celui qui n'a jamais écrit un scénario original, adaptant volontiers, n'en déplaise à ceux qui le prennent encore pour un monstre à la froideur maniaque, des romans au style fleuri (Nabokov, Thackeray, Schnitzler...). Comme si, à travers des héros comme ceux d'Eyes wide shut ou Barry Lyndon, Kubrick dessinait une humanité par dépit, une humanité minimale dans un monde de désillusion. Dommage alors que dans cet essai pesant (510 pages tassées), Chion dissèque souvent plus qu'il ne synthétise (140 pages rien que sur 2001 !), et multiplie les digressions jusqu'à pouvoir égarer son lecteur (inventer un dialogue avec Kubrick pour dire du mal de Shining, était-ce bien nécessaire ?). Reste que ce pavé d'analyste émérite pourra servir de référence aux fans après chaque visionnement : chaque film, avant d'être passé au crible, donne lieu à un résumé archi-détaillé, ainsi qu'aux opinions et contextes qui l'ont accompagné. L'œil averti de Michel Chion s'évade ensuite de chacun d'entre eux pour lancer des pistes de réflexion à travers l'œuvre de Kubrick et au-delà. LH


<< article précédent
Le(s) fantôme(s) de Kubrick