Bleu comme un Orange

Musique / Revenu à l'indépendance pure et dure, Monsieur Orange sort un troisième album attachant et inclassable, plein de fulgurances mélodiques et de trouvailles d'écriture. Christophe Chabert


Discrètement passé sous silence, le dégraissage de l'écurie Jarring Effects, recentrée sur ses champions (High Tone et Ez3kiel), a laissé pas mal d'artistes SLF (Sans Label Fixe). Parmi eux, Monsieur Orange, qui avait brillamment inscrit deux beaux albums à son catalogue, rebondit le premier en prenant le maquis de l'autoproduction pour un troisième opus assumant fièrement son artisanat forcé. Mais la musique de Monsieur Orange l'a toujours été, artisanale ; et revenu à cette case départ du do it yourself (adieu les featurings et le packaging classe des albums précédents, bonjour la production brute de chez brut), Philippe Betrand n'a plus que ses chansons à montrer. Et c'est tant mieux, car celui qui a sorti le Bontempi du grenier pour le remettre au goût musical du jour démontre avec une belle vigueur qu'il est un auteur au sens plein du terme : un univers, un style et pas mal de panache.Prévert et les Beach BoysCe Bertrand-là semble d'ailleurs, les années passant, revenir à la filiation imaginaire que son nom autorise : pendant que son homologue Plastic va torcher le cul des vaches dans La Ferme, Philou l'Orange rappelle opportunément son authentique caractère terrestre et psychédélique à la fois. Sur Bamboula Apache, un morceau souligne génialement cette agriculture singulière : Barbara, une touche de Prévert, un hommage aux Beach Boys et une écriture sauvage ("Barbara, innoculer Penthotal sérum savoir sinusoïde of love suis-je high suis-je down bist du a good shoot or bist du a bad trip") : c'est merveilleux, léger, original, emballant. Tout le disque est parcouru par ses éclairs de démence contrôlée, partouze de langues et délire poétique que Monsieur Orange accompagne avec une variété de registres inattendus : douceur et tristesse sur une fin d'album chantée avec une voix grave et tendre, seul face à son piano et son orgue électronique ; énergie ludique et contagieuse pendant la première partie, où guitares rock et rythmes synthétiques viennent s'incruster entre les dialogues vocaux de Monsieur Orange avec lui-même. L'important pour lui, et c'est pour ça que ce disque est si attachant, encore plus que les précédents, c'est de conserver sa philosophie en toute circonstance : pas question de se laisser aller à la morosité, de rester les bras croisés à se lamenter, même si on sent bien que derrière le rigolo, Bertrand est un écorché vif. C'est toute la beauté de ce Mi-clos, les yeux, troisième morceau de l'album où Monsieur Orange atteint un sommet de finesse mélodique tout en exposant son modus vivendi : "Marcher les yeux mi-clos/Pour rester peace and love/Marcher les yeux mi-clos c'est beaucoup plus rapide/Un gain de temps précieux/Pour l'hallali du laid".Monsieur Orange"Bamboula Apache" (Pulpe et Poulpe)


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