Un nouvel âge pour la techno

Musique / Après avoir remis en musique le Metropolis de Fritz Lang, Jeff Mills, vétéran de la techno, s'attaque à Three Ages, film rare de Buster Keaton. Christophe Chabert


Comme consciente de sa carence flagrante en matière d'attractivité scénique, la musique électronique cherche depuis bien longtemps à associer ses rythmes à des images, pour ne pas être qu'une matière à déhanchements de foules insomniaques. Le VJ est presque aussi important que le DJ, et même les pointures de la techno peaufinent le visuel de leurs shows. À ce petit jeu, Jeff Mills a pris une bonne longueur d'avance en se mettant au ciné-concert, genre florissant qui consiste à exhumer des films muets en leur donnant une partition actuelle. L'expérience, menée aussi bien par Philip Glass (avec le Dracula de Tod Browning) que par Cinematic Orchestra (avec une superbe relecture musicale de L'Homme à la caméra l'an dernier), a un double mérite : faire découvrir des classiques à des générations pas forcément très aware de l'histoire cinématographique ; et proposer une alternative aux sempiternelles (et rasoir) performances live où un gugusse, même doué, passe deux heures à caresser des touches et lubrifier des boutons comme n'importe quel nerd enfermé dans sa chambre après une journée de lycée.De l'homme et des machinesMills, pas mégalo, s'est emparé d'abord du Metropolis de Fritz Lang. Risque limité : on ne peut pas imaginer pire que la bande-son abominable créée dans les années 80 par Giorgio Moroder pour le même film, qui nous obligea longtemps à regarder le film en muet intégral. Le voilà qui tente cette fois une aventure autrement plus casse-gueule. Three ages n'est pas le film le plus connu de Buster Keaton, mais c'est bien cette rareté que Mills est allé dénicher. À la vision du film, on comprend pourquoi : le comique de la mécanique déréglée de Keaton s'y inscrit par-delà les époques (préhistoire, âge classique, âge moderne), comme une sorte d'éternel retour du même, que ce soit en peau de bête, en habit d'empire ou en costard-cravate. Belle métaphore du travail d'un musicien techno, qui ne fait que jouer sur les boucles et les variations, essayant d'assouplir ses sons métalliques en les tordant dans tous les sens. D'ailleurs, Mills ne se contente pas d'illustrer le film ; il s'essaye aussi au remix, produisant un effet assez proche de celui créé par des cinéastes expérimentaux comme Matthias Müller. L'expérience est donc passionnante, même si, dans notre cas, la musique de Mills n'a jamais été vraiment une passion. Que le pionnier techno s'offre aujourd'hui une tournée entière pour défendre le projet sur scène (aussi visible sur un DVD édité par MK2) est la preuve que la musique électronique a plus que jamais besoin de renouveler ses méthodes pour éviter de sombrer dans le ronron.Jeff Mills, "Three Ages"Au Transbordeur le mardi 25 janvierDVD et CD chez MK2 music


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