Melinda et Melinda


Critique / Quatre personnes dans un café autour d'un verre : deux scénaristes face à face, les deux autres étant les représentants de la "réalité", spectateurs actifs des fictions qui vont se fabriquer sur un coin de table. Débat du jour : qu'est-ce que la comédie et qu'est-ce que la tragédie ? Peut-on, d'un même pitch, faire une histoire drôle et une autre triste ? Rien de tel qu'un bon exemple : Melinda, jeune femme déprimée, débarque dans un dîner entre amis, et va bouleverser la vie des convives. Côté larmes : elle révèle la frustration de la jeune épouse et les égarements de son mari volage ; côté rires : le mari tombe amoureux d'elle, mais tarde à se déclarer. Woody Allen mène les deux histoires de front, dans un marabout-bout de ficelle où les fictions se recouvrent l'une l'autre. Pas de parallélisme facile, mais un système de rimes internes ; pas d'équilibre non plus, puisque le drame tient nettement plus de place que la comédie ; pas de ruptures stylistiques d'un genre à l'autre, la mise en scène gardant sensiblement la même élégance distante qu'Allen a retrouvée avec Anything Else (seule la musique, classique ou jazzy, souligne le changement). Enfin si Melinda est jouée dans les deux parties par la même actrice (l'excellente Radha Mitchell), des comédiens différents composent leurs castings respectifs. C'est ainsi que des qualités et des défauts de Melinda et Melinda, plus que de sa morale finale, émergent les conclusions de la fable : la comédie est plutôt poussive et le drame d'une légèreté jamais vue chez le cinéaste (qui a tendance à sur-bergmaniser ses films sérieux). Comme si, au final, comique et tragique se déversaient l'un dans l'autre, produisant une sorte de mélancolie fataliste d'où pointent quelques certitudes : les femmes sont toujours belles, désirables et surtout insaisissables ; les hommes sont lâches, instables et généralement stupides. D'ailleurs, détail remarquable de ce film étrange et attachant, si le drame tient le programme du titre (Melinda en est bien son héroïne), l'autre Melinda n'est que le Mac Guffin de la comédie, centrée sur son anti-héros Will Ferrell (dans une imitation parfaite d'Allen acteur). Comme si Woody voulait contrarier la langue française : la comédie est masculine mais le drame est du genre féminin, impitoyablement. CCMelinda et MelindaDe Woody Allen (EU, 1h45) avec Radha Mitchell, Chloe Sevigny, Will Ferrell...


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"J'ai toujours vu le monde comme une tragédie"