Globe-croqueur

Expo / Voyageur invétéré, le Lyonnais Laurent Mulot essaime à travers le monde ses improbables Centres d'art contemporain fantômes et fait le point (en photographies et vidéos), au Bleu du Ciel et à l'A48, sur son travail au long cours... Jean-Emmanuel Denave


Ah ! la mondialisation, ses flux de marchandises, ses folles métropoles et ses communications en temps réel réduisant le globe à un village... Tartes à la crème que l'on nous ressert à l'envi et formules prêtes à mâcher qui perdent vite sens et consistance. Car plutôt que de la ressasser cette mondialisation, ne vaudrait-il pas mieux l'inventer, se l'approprier et la déjouer, la fabriquer avec des bouts de ficelle aussi bien qu'avec Internet, l'arpenter à pied aussi bien qu'en avion ? C'est ce que semble tenter Laurent Mulot, artiste utopiste né au «bout du monde» (au Havre), et grand défenseur à ses débuts de la photographie ratée. En 2003, simple touriste au pays des kangourous, il emprunte un train reliant Perth et à Sydney (soit les deux extrémités de l'Australie) qui s'arrête pendant quatre-vingt dix minutes en plein désert, à Cook, pour une escale technique. Cook ? Un village qui ne compte plus aujourd'hui que deux habitants, des buissons rachitiques, une poignée de hangars et une école désaffectée où Laurent Mulot découvre des dessins d'enfants et cette formule sésame fantomatique : «They come out at night». Cela fait «tilt» dans la tête du poète qui décide de fonder là, très exactement au milieu de nulle part, son premier Centre d'art contemporain fantôme. Avec une simple plaque gravée pour le signifier et deux gardiens (Ivor et Janet Holberton, les deux âmes de Cook) pour en prendre soin.Cartes de vœuxDepuis, le périple utopique et ludique continue. En 2005, Laurent Mulot emprunte successivement avion, car, automobile, motocyclette et baskets pour se rendre précisément au centre géodésique de la Chine et tombe en l'occurrence sur une rizière détrempée. À deux pas de là, il y a une ferme et la famille Schen Ying Ping, et il n'en faut pas plus pour donner corps imaginaire à son deuxième Centre d'art contemporain fantôme. Le troisième est édifié en France qui recèle aussi des lieux improbables : Rochefourchat dans la Drôme, ville sans habitant et lotie seulement de résidences secondaires. Le quatrième Centre est inauguré en juillet 2007 en pleine forêt amazonienne brésilienne à Mazagao Velho. Une ville qui a littéralement traversé l'Océan Atlantique : comptoir portugais au Maroc au XVIIIe siècle, la petite cité et ses 2000 habitants ont été évacués au Brésil pour échapper au siège des Maures... Topographe surréaliste, Mulot tricote ainsi peu à peu un réseau de sites poétiques, joue avec l'histoire et la géographie, et désigne comme centres du monde ce qui en fait l'essentiel : un lopin de terre à la fois tangible et mental, des fantômes et quelques vivants, gardiens et gradients d'humanité.«Les Quatre Continents Middle of nowhere» de Laurent MulotAu Bleu du Ciel, jusqu'au 26 janvier À l'A48 (48 rue Burdea, Lyon 1er), jusqu'au 29 février


<< article précédent
Famille, révolte et palabres aux Subsistances