Le pouvoir, quelle(s) image(s) ?

Expo / Christian Lutz photographie l'univers feutré et un peu fade du pouvoir contemporain, figeant quelques-uns de ses protagonistes dans leurs codes et costumes policés… Jean-Emmanuel Denave


«Les photographies de ce livre ont été réalisées entre octobre 2003 et juillet 2006, principalement à l'occasion de déplacements à l'étranger de plusieurs délégations du Département fédéral suisse de l'Intérieur, soit une quinzaine de voyages au total» écrit le photographe Christian Lutz, né à Genève en 1973. Plusieurs de ses images, réunies dans un livre intitulé Protokoll, sont exposées au Bleu du Ciel. Peu à peu, Christian Lutz a gagné la confiance et a pu suivre de près les responsables d'un Département gouvernemental, afin d'explorer les codes et les «protocoles» du pouvoir moderne. Ses images ont pour titre le lieu exact, la date et l'heure de la prise de vue. Et l'on passe ainsi allégrement de la Suisse au Tibet, au Japon, à New York… Car ces messieurs en costumes sombres (quelques femmes aussi, mais elles sont rares) voyagent beaucoup et passent un temps apparemment important à déjeuner, prendre l'avion, faire quelques discours ou palabrer autour d'une table. Rien que de très attendu donc, et l'on pourrait très bien les confondre avec des chefs d'entreprise ou autres hauts fonctionnaires : les affaires tournent et tout paraît aussi sérieux que rationnel. Un pouvoir gris et fade qui ne s'embarrasse ni de charisme inutile ni de joyeusetés déplacées… À côté de la pompe
Mais là où les images deviennent cocasses et d'autant plus intéressantes c'est quand ces «costumes trois pièces sur pattes» se retrouvent dans des lieux gardant encore les traces des fastes du pouvoir à l'ancienne : une ambassade, un palais espagnol, une vieille abbaye norvégienne… On perçoit alors un décalage flagrant entre les symboles grandiloquents d'hier (fonctionnant aujourd'hui à l'état de folklore) et les rituels lisses et pseudo techniques d'aujourd'hui. Car c'est bien à une image "sérieuse" et rationnelle qu'aspirent les responsables politiques contemporains : en marge ou directement, Christian Lutz en montre le caractère un peu ridicule et, surtout, une impression générale de grande vacuité. Pourquoi dès lors a-t-il choisi d'exposer ses photographies sur le modèle de la peinture d'histoire (grand formats encadrés de larges cadres de bois) ? Par ironie ou par nostalgie ? Sur cette question, le photographe reste peu clair : «Ce travail a été motivé par un rapport ambigu, fait d'attirance et de répulsion, que j'entretiens avec l'autorité, le pouvoir et les systèmes hiérarchiques. J'avais l'intention de confronter la photographie que je pratique à certains codes de comportement liés au pouvoir. Peut-être pour pouvoir mieux les tolérer ensuite».Christian Lutz
Au Bleu du ciel-Burdeau jusqu'au 21 février.


<< article précédent
DJ Hell