En suivant les pointillés

A travers une exposition superbe, Le Réverbère nous invite à redécouvrir l'œuvre photographique méconnue de Pierre de Fenoÿl (1945-1987), artiste de l'ombre et de la lumière. Jean-Emmanuel Denave


On néglige peut-être trop l'importance du pointillé en art… Et pourtant ! Que l'on songe par exemple à la technique de gravure inventée au XVe siècle («le pointillé»), au pointillisme de Seurat ou Signac, voire au degré zéro de la peinture d'un Niele Toroni appliquant inlassablement des points de peinture à distance toujours identique… Dans les photographies de Pierre de Fenoÿl, on découvre quelques pointillés : ceux des bandes blanches de milieu d'une route, de trottoirs peints, ou encore de poteaux en bord de Seine à Paris en écho aux fenêtres des bâtiments sur l'autre rive… Le pointillé, c'est une ligne discontinue, c'est un rectangle blanc réfléchissant de manière particulièrement intense la lumière, c'est encore le motif le plus simple d'une rythmique possible et, donc, l'introduction du temps (mais aussi pourquoi pas de la musique) au cœur de l'image arrêtée. C'est encore, de manière générale et contre la ligne continue, une manière de capter le réel en laissant apparaître sa part d'ombre, de manque, d'absence… Dans un de ses textes, Pierre de Fenoÿl cite Paul Klee : «le mouvement entier du blanc au noir donne une idée gigantesque entre les deux pôles, trajet couvrant toutes les étapes de la source du visible aux ultimes confins du visible, ou lutte ouverte des extrêmes qui s'entrechoquent». Et commente : «L'usage de cette gamme est le chemin qui mène au temps».

Grains de réalité et de temps

Tout l'œuvre du photographe fait usage de cette gamme noir et blanc, avec des tirages d'une particulière beauté… Cette œuvre n'en est pas pour autant uniforme. On pourrait croire, à tort, que l'artiste vise seulement l'épure des lignes comme dans ce champ fendu en son milieu et d'une géométrie quasi parfaite. Deux pas plus loin, le décor d'une chapelle et d'un cimetière entourés de cyprès et se détachant sur fond de grosses volutes immaculées de nuages, dément l'esprit de géométrie pour nous entraîner dans l'ambiance romantique d'une île des morts à la Böcklin. Ou bien c'est le tragique des deux tours du World Trade Center dardant leurs reflets d'acier au voisinage d'un immeuble anachronique et du passage fantomatique d'un chien au premier plan, réduit à une trace de suie… L'image chez Pierre de Fenoÿl bascule de la sensibilité à l'abstraction plus distanciée, de l'ombre à la lumière, de l'épure à la complexité, du simple reflet d'un visage sur un panneau de porte au feuilletage de plans et de strates d'une façade de maison en Aveyron… L'humour n'y est pas non plus complètement absent, comme dans cette vue de Lodève de 1984 qui donne l'impression qu'une chapelle a été découpée en deux parties égales et décalées… Une chapelle en pointillés, un chapelet égrenant ses fragments de réalité sublimée.

Pierre de Fenoÿl
Au Réverbère
Jusqu'au samedi 29 décembre


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Alyah