C'est arrivé (plus ou moins) près de chez vous

Prétendre que les auteurs de polar sont des éponges serait tendancieux ; poreux au monde ainsi qu'à ses turbulences semble une formulation plus exacte. Quant à leurs romans, ils ressemblent à ces carottes extraites par les glaciologues aux pôles, emprisonnant “l'atmosphère” de leur époque — en l'occurence, ses préoccupations majeures.


Force est de constater que cette année, les thèmes environnementaux (voir Le Grand Effondrement de Sébastien Le Jean) et la pédocriminalité (on évitera de les citer pour ne pas divulgâcher) ont pris le pas sur les cyber-techno-thrillers ou le narco-trafic. Et si le psychopathe de service, le jumeau maléfique ou l'inscription de l'intrigue dans un contexte historique restent des valeurs sûres, une tendance peut-être conjoncturelle se dessine : l'éloignement des gros centres urbains ou des capitales, au profit des régions, des zones rurales, qui n'est peut-être pas étranger aux confinements successifs ni au besoin d'espace ressenti par les forçats de la plume francophones.

À perte de vue des lacs gelés

Ce besoin nous conduit notamment aux portes de la Bretagne (la Brière, c'est presque la Bretagne) avec le glaçant De si bonnes mères de Céline de Roany comme sur les routes de la Drôme à bicyclette, guidé par le toujours pertinent François Médéline (Les Larmes du Reich, qui mériterait une adaptation sur grand écran) ; à Salamanque et Ségovie dans le Lucia de Bernard Minier. Ou encore au milieu d'une campagne coupée de tout dans le règlement de compte bourgeois à la Vadim Week-end entre amis de Nathalie Achard ; sur une île mystérieuse façon Le Prisonnier dans le semi-fantastique Respire de Niko Tackian.

Franck Thilliez maintient (partiellement) les aventures de son héros Sharko à Paris mais il ne déroge pas à ce courant de la “délocalisation“ en changeant l'époque : 1991 se déroule en effet en… 1991. Enfin, les immensités glacées ont diablement inspiré les autrices et auteurs : Patrice Gain pour le sibérien De Silence et de loup, Vivianne Moore et son chamoniard La Quête de L'Orphanus, Colin Niel et Sonja Delzongle pour leurs pyrénéens Entre fauves et Abîmes. En littérature noire, le manteau neigeux doit sans doute conjurer l'angoisse de la page blanche.


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Avec L’Île Ô, les enfants auront leur théâtre flottant