« Les enfants comprennent plus vite que nous l'art contemporain »

À Lyon, de nombreux enfants sont sensibilisés à l'art contemporain dès leur plus jeune âge. Des dispositifs mis en œuvre par des événements d'envergure comme la Biennale d'art contemporain, mais aussi à l'initiative de galeries indépendantes, comme la BF15.


En ce vendredi matin ensoleillé, la galerie d'art contemporain la BF15 située quai de la Pêcherie bourdonne d'un brouhaha inhabituel. La première salle, baignée de lumière, est aujourd'hui peuplée de petits êtres aux vêtements bigarrés. Des taches de couleur évoluant dans cette pièce aux murs à la blancheur éclatante, et où les murs se confondent volontairement pour laisser les œuvres exprimer tout leur potentiel.

Ils sont une petite vingtaine de filles et de garçons entre trois et cinq ans, assis en petits groupes par terre, le dos résolument tourné à l'enchâssement de vases en grès imposants qu'est l'une des œuvres d'Hisae Ikenaga, Colonne rouge. Certains y jettent des coups d'œil réguliers, d'autres fixent le plafond, hagards d'avoir emmagasiné toutes ces émotions. « À cet âge-là, on réceptionne tout plus intensément, c'est normal qu'il y en ait qui soient fatigués », s'amuse une mère accompagnatrice, ravie.

L'exposition Restes morcelés, inspire Le Repas bizarre

La classe maternelle de l'école Michel Servet a déjà réalisé la (courte) visite commentée du parcours d'exposition, découvrant les fascinants (et d'un point de vue d'adulte quelque peu dérangeants) Restes morcelés. Tantôt visibles sur une table chirurgicale, un dérouleur de papier toilette ou sur un porte-serviette, Les œuvres rappellent à des coraux, de la nourriture, des organes humains…

Le projet, pensé en lien avec le contexte historique de Lyon, a ému les enfants sur un tout autre registre, apparu avec limpidité au moment de la révélation de leurs créations. Ces derniers ont été invités à « rejouer les gestes de l'artiste » avec de la pâte à modeler, raconte Florence Meyssonnier, coordinatrice de La BF15. Nommé collectivement Le repas bizarre, leur travail était en majorité composé de frites, de saucisses, de brochettes de bonbons et de piles de pancakes. On notera la présence de nombreuses girafes, expression de la passion d'un petit garçon pour l'animal.

©LS/PetitBulletin

À chaque exposition, son atelier

« Ils sont dans la matière, ils ont besoin de manipuler à leur tour », décrit Florence Meyssonnier, qui porte le projet et l'étoffe depuis dix ans. En tout, ce sont plus de 1800 scolaires qui viennent à la BF15 deux fois par an. Des écoles du 1ᵉ, du 2ᵉ, du 5ᵉ arrondissement. 

Un chiffre important pour une petite galerie qui compte seulement deux salariées en CDI. Cela exige d'y dédier beaucoup de temps, notamment à la coordination des équipes enseignantes qui viennent visiter les expositions en présence des artistes. Les ateliers sont pensés par Florence Meyssonnier, et représentent un défi à chaque renouvellement. 

Par exemple, pour l'exposition d'Élodie Seguin, Shaped colours, les enfants ont joué avec la lumière, superposant des petits plastiques colorés qu'ils ont découpé. « On pense aussi la mise en exposition dans l'espace, à l'école », précise-t-elle.

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La demande excède l'offre

Aujourd'hui, la demande excède l'offre à la BF15, Florence Meyssonnier ne peut pas accueillir de classe supplémentaire. Faute de place ? Non, faute de moyens humains. La galerie indépendante touche quelques subventions de fonctionnement, une aide de la DRAC, mais ne peut pas se permettre d'embaucher de troisième employée. « La place de l'art est parfois compliquée à installer à l'école, les équipes enseignantes doivent être sur tous les fronts. Nous, on leur propose une formule clef-en-main, et ça les soulage beaucoup. »

D'après la coordinatrice de la galerie, les visites et ateliers participent grandement au développement des enfants : « Il faut battre en brèche l'idée que l'art contemporain est trop compliqué pour les enfants, surtout les petits. Cela les entraîne à penser l'ambiguïté, se développer sensoriellement, ce qui donne confiance », conclut-elle.

« Les enfants expriment des émotions qui me dépassent complètement »

Une lecture qui n'est pas contredite par Nathalie Prangères, chargée de relations avec les publics de la Biennale d'art contemporain. Ce sont d'ailleurs 31 000 scolaires (dès trois ans) qui se sont rendus à la Biennale lors de la dernière édition, accompagnés d'une petite mascotte pelucheuse, Indix. Une boule de poils rassurante qui se cachait dans le parcours des enfants. « On en profite pour jouer avec les espaces de la Biennale, qui sont souvent gigantesques », raconte Nathalie Prangères. Faire le tour d'une œuvre, simuler sa taille, son bruit, la mimer : tout est possible et stimulant.

Les visites sont là aussi suivies d'ateliers, et il est aussi possible d'inscrire un enfant à l'une de ces visites quelques fois dans la semaine durant la Biennale, moyennant une dizaine d'euros. « Ça laisse aussi le temps aux parents de découvrir les œuvres seuls. Mais en vérité, ils nous suivent souvent de loin pour observer leur enfant », s'amuse Nathalie Prangères. Une remarque qu'une mère accompagnatrice de l'édition 2022 ne nie pas : « Plus ils sont jeunes, moins la notion du ‘'beau'' au sens qu'on lui prête depuis le Romantisme a été intégrée par les enfants. Ils expriment donc des émotions, des interactions avec certaines œuvres qui me dépassent complètement, c'est rigolo à voir. »

©LS/PetitBulletin

 


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