Les corps défient l'obscurité. Daniel Roviras nous donne la sensation de ce qui est absent et déjà là, compose des espaces de refuge, des scènes où les corps décharnés semblables à ceux des camps de concentration viennent défigurer les apparences.
A la galerie le Réalgar, les traces de visages sculptées creusent les normes. Daniel Roviras écarte le mimétisme de l'image pour mieux intervenir sur le réel, empreinte la chair, une graisse épaisse. Même les touches de peinture sont comme des appositions de peaux, des arrachements de visages recollés. Pâte tartinée sur fond obscure de regroupement : qu'est ce qui nous unis ? Qu'est ce qui nous regroupe dans cette obscurité ? Un groupement mystique. Ils sont nombreux, le cadre est serré, anonyme, une sensation d'isolement et d'immersion contemporaine de la condition humaine. Daniel Roviras intègre l'anéantissement, oralise une figure de l'aliénation et dépeint un organisme de somatisation. Des ouvertures béantes et des crânes accidentés, un reste universel, pas d'éléments frivoles, de chevelure ou de sourires pour venir rassurer les habitus et les idéaux sondables de faciès. Les corps minces migrent, se dispersent et s'effacent sous des drapés, ou des vêtements trop larges. L'image de souvenirs écorchés, d'incommunicabilité... Ce qui reste porte au-delà de la vie. La déconstruction de l'égo de cette composition expressionniste, délie, altère et organise le déplacement de corps désaffiliés, au bord de la folie. Bordé d'inquiétude, le cadre est un onirisme de l'incertitude, ces défigurations réaniment le souvenir de l'iconographie primitive du moyen âge, elles reformulent les codes, apprivoisent la brutalité.
Couloirs lymphatiques
La violence de l'effacement déstabilise la stratification des ordres figuratifs. Ce sont des cadrages sur les effets de destitution, de croyances, de mythes, ou de fanatisme, une touche picturale du non savoir à la recherche de matière interne, comme l'encadrement du regard chez Giacommetti, ou Antonin Artaud. Une tentative de figurer le morcellement de l'individu et l'effet de l'image au travers du circuit psychique. Le peintre cherche à intervenir sur l'intouchable, arrache le masque, déforme les genres pour toucher et sentir. Il signe son œuvre du titre de Patmos, autrefois île de déportation, lieu où Saint Jean exilé aurait rédigé l'apocalypse. la touche de Daniel Roviras construit un univers d'où émerge le chaos, un délire d'isolement de corps, des visages comme recouverts de trop de chair de peaux brulées, de corps calcinés. La figure et le sens, la vérité et l'interprétation, inspirent le recueil.
Daniel Roviras
À la galerie le Réalgar, du 2 juin au 14 juillet