Le sociologue stéphanois est l'auteur d'une quarantaine de récits et de romans dont plusieurs ont connu un retentissement national. Il revient pour nous sur la position de Saint-Étienne dans le monde littéraire.
Saint-Étienne est-elle une ville littéraire ?
Elle ne l'a jamais été. Cette ville s'est enrichie rapidement, à la fin du XVIIIe. Beaucoup de ses industriels étaient des petits qui sont montés très vite, sans toute la vieille longueur culturelle qu'il y a, générations après générations. Au XIXe, quand les rubaniers stéphanois recevaient leurs collègues lyonnais, ils les invitaient à manger dans des agapes, la culture était superflue. Cependant, des gens se sont battus contre cela, comme Marius Vacheron, le fondateur du Musée d‘Art et d'Industrie, ou Félix Thiollier. Ce dernier était désespéré par l'état culturel de Saint-Étienne. Il était d'une famille stéphanoise mais avait passé sa jeunesse à Paris, à côtoyer des peintres, des musiciens... Il s'est battu toute sa vie pour essayer de faire des cercles d'intellectuels à Saint-Étienne. Mais la ville n'a jamais cru en elle-même du point de vue culturel... A notre époque, globalement le nombre de lecteurs diminue, la culture littéraire ne tient plus le haut du pavé. Jusque dans les années 60 il fallait faire latin, grec ou littérature, désormais il faut faire une école de commerce...
Quelle est alors votre définition d'une ville littéraire ?
Il faut qu'il y ait des lecteurs, des auteurs et des éditeurs. Les bibliothèques municipales jouent aussi un rôle ainsi que les universités. A Saint-Étienne, nous avons de bons libraires. Il y a également des auteurs, mais peu habitent la région. De jolis éditeurs locaux existent, comme il y en a dans toutes les villes de France... Pour autant, il y a une maison d'édition totalement sous-estimée ici, Les Cahiers Intempestifs, qui fait un travail d'art remarquable. On trouve ses ouvrages au MOMA à New-York, au British Museum, dans les grands musées français. À la décharge de Saint-Étienne, la France est un pays très centralisé et l'édition est parisienne.
Que pensez-vous de la Fête du Livre ?
Je la pense dans une évolution. L'idée de départ est très belle : mettre le livre dans la rue et le faire joyeusement. C'était comme cela les premières années. Mettre un auteur tel que Robert Sabatier, qui faisait de la littérature tout en étant "grand public", parrain d'une telle manifestation était une belle idée. Mais faire une fête "autour du livre" est vite devenu "faire la fête" et le livre est devenu un prétexte. La littérature est passée petit à petit à l'as. Les Stéphanois ne le voyaient pas parce que du monde venait. Mais les éditeurs, les auteurs renâclaient à venir. Il faut savoir qu'un auteur qui vient dans un salon du livre ne gagne rien. Dans le meilleur des cas, il touche dix pourcents sur la vente de son livre. L'auteur vient pour rencontrer des lecteurs, se retrouver dans le milieu du livre et être reconnu en tant qu'écrivain. Cette Fête a été dévalorisée dans le monde littéraire parisien. La descente a perduré jusqu'à l'arrivée d'Isabelle Rabineau qui connaît le monde du livre. C'est en train de changer aujourd'hui. La Fête reprend des couleurs et on commence à revenir à la littérature. Les milieux littéraires français s'en rendent compte.
Avec Mes Meilleurs Sentiments, de Jean-Noël Blanc, au Realgar