Loin du tapage d'une reformation hystérique, JP Nataf et Jean-Christophe Urbain ont ravivé avec l'impeccable "Mandarine" la flamme mélomane des Innocents. Réhabilitant au passage le souvenir parfois faussé d'un groupe qui compte finalement beaucoup plus que l'enfilade de tubes livrés deux décennies durant au cœur d'une véritable encyclopédie pop. Stéphane Duchêne
Chienne de vie. Vraiment. Quand on voit la vitesse à laquelle s'est rempli le Transbordeur lyonnais à l'annonce d'un concert surprise des Insus (soit Téléphone reformé en mode clando pour faire genre) et qu'on constate avec quelle discrétion est accueilli le retour des Innocents, eh bien messieurs dames on vous le dit comme on le pense, quelque chose branle dans le manche, il y a du mou de veau dans l'Hygiaphone et le monde est décidément « aussi parfait qu'il est plat » – c'est-à-dire surtout plat.
Parce que, si on peut se permettre de parler un peu musique, les Innocents, c'est quand même un Autre Finistère que Téléphone. Ironique, quand on songe que les deux groupes ont été portés par une ribambelle de tubes dopés par les radios. Sauf que, concernant Téléphone, il y a les tubes, taillés pour les stades ou les soirées quadras qui dégénèrent après minuit et c'est tout. Du côté des Innocents, il y a les tubes aussi mais ceux-ci cachent un énorme malentendu.
Geste frère, frères de geste
Car, lorsqu'on écoutait dans les années 80-90's tous leurs hits (on vous fait grâce de la liste, disponible ici), on écoutait mais on n'écoutait pas vraiment. On se laissait porter par la vitrine alléchante des mélodies ou par la surface de paroles parfois absconses, mais on n'allait voir ni l'arrière-boutique, ni la machinerie, ni, en profondeur, les richesses d'arrangements furieusement pop.
On n'entendait donc pas, ou on l'a fait bien plus tard, à quel point les Innocents étaient lettrés, mélomanes, référencés, et surtout avec quelle magie ils parvenaient à marier ces références avec un art de la citation (Beatles, XTC, dB's, n'en jetez plus) et de l'appropriation d'une rare subtilité.
Or c'est bien cela que met en lumière la reformation du couple de compositeur JP Nataf/JC Urbain : une inventivité certes jamais tarie (même en solo) mais réenchantée par le retour de ce « geste frère » de ces frères de geste musicale, qui a accouché de Mandarine, certificat d'authenticité d'une réconciliation (dont ils font le récit et le bilan) pour l'amour de l'art et pas celui du buzz ou du flouze.
Quand on chante qu'on a « les souvenirs devant nous », c'est qu'il n'est pas question de reluquer le rétro ou de refaire le vieux coup tordu de la nostalgie qui ne dit pas son nom, de la reformation qui – trop vu, trop connu je t'embrouille – déforme les souvenirs.