Un groupe punk à la dérive vérifie à ses dépens la réalité du slogan No Future en se produisant devant un public de fachos. S'ensuit un huis clos surprenant, avec larsen et acouphènes modulés par Jeremy Saulnier. Prix du Petit Bulletin lors du dernier festival Hallucinations Collectives.
On le sait depuis Psychose d'Hitchcock : les films qui bifurquent sans crier gare dans l'hémoglobine méritent toujours qu'on consente un détour en leur direction. Faisant mine de nous emmener dans des contrées connues, ils se plaisent à nous projeter au milieu d'un ailleurs terrifiant confinant parfois au nulle part — cette terra incognita cinématographique qui se réduit comme une peau de chagrin.
Green Room appartient à cette race bénie d'œuvres maléfiques se payant même le luxe de changer plusieurs fois de directions. Conservant le spectateur pantelant, dans un état d'incertitude en accord avec l'intranquillité seyant à des personnages de survival. Et ourlant ses massacres de ponts rock (ou plutôt punk) du plus bel effet.
Haches tendres et battes de bois
Partant d'un chaos dérisoire, de la situation minable d'un groupe tirant le diable par la queue, Green Room semble brandir l'étendard d'une comédie ingénue, laissant entrevoir de fines plaisanteries sur les musiciens à cheveux gras, leur combi pourri ou les parquets en bois norvégien. On s'attend à une succession de mésaventures anecdotiques — tendance Cameron Crowe punk —, jusqu'à basculer dans un environnement de film d'horreur. Mais point de zombies ici : aux traditionnels morts-vivants se substitue une clique de skinheads mâtinés de néo-nazis.
Le film pourrait se borner à cette variation politico-musicale du Bal de Vampires de Polanski — l'infiltration par des proies d'un nid de prédateurs —, il dévoile alors une dimension supplémentaire, la plus subtile et proche du western, le transformant en récit de sublimation héroïque. Une sorte de manuel de survie pour situation désespérée ; une carte du pied-tendre égaré en terres hostiles.
Cette progression vers la viande froide, qui n'est pas accommodée à la sauce gore en dépit de quelques joueuses trouvailles, s'effectue avec un naturel assez prodigieux, révélant la facilité avec laquelle la violence peut survenir dans le quotidien — sans que l'on n'ait pour autant besoin de convoquer des monstres légendaires. Plus les situations deviennent extrêmes, plus elles nous confrontent à un réalisme cru, découlant des pressions d'une société molochienne. Green Room ne plonge pas dans les abîmes du cauchemar, il nous extirpe au contraire de l'idéal du rêve pour nous confronter à la réalité.
Green Room
de Jeremy Saulnier (É-U, 1h35) avec Anton Yelchin, Imogen Poots, Alia Shwkat, Patrick Stewart...