Novembre 1963. JFK vient d'être assassiné et sa désormais veuve Jackie Bouvier Kennedy reçoit un journaliste dans sa résidence glacée pour évoquer l'attentat de Dallas, mais aussi son avenir. Au fil de la discussion, elle se remémore pêle-mêle les jours heureux à la Maison-Blanche, les préparatifs des obsèques et la journée fatale...
À l'instar de Neruda sorti il y a un mois, Jackie est un biopic transgressif où le sujet principal ayant la pleine conscience de sa future place dans l'Histoire, se permet d'en soigner les contours en abrasant la moindre irrégularité apparente : la si lisse Mrs. Kennedy affirme ainsi ne pas fumer... en écrasant une de ses innombrables cigarettes ; la si droite Jackie tient debout... gavée de calmants et d'alcool. Dans la famille Kennedy, l'apparence prime sur l'expression publique d'un quelconque affect privé ; qu'importent les circonstances, Jackie se doit de participer à l'écriture de la glorieuse geste de cette dynastie.
La construction achronologique du film, heurtant et brassant les séquences, rend une juste mesure du trouble sous-jacent, comme de la vérité d'un chagrin ne pouvant s'exprimer au grand jour. Veuve de tragédie grecque avant même d'être convoitée par Onassis, Jackie parvient à accomplir le deuil intime qu'on lui vole en le surspectacularisant, et en lui ajoutant un codicille cérémoniel personnel — son sceau réginal, en somme.
Ce rôle shakespearien ouvre naturellement à Natalie Portman les portes d'un second sacre à l'Oscar de la meilleure actrice. Certes, les concurrences sont rudes d'Emma Stone, qui lui a déjà ravi la Coupe Volpi à Venise ou d'Isabelle Huppert, qui l'a supplantée aux Golden Globes. Mais ne négligeons pas, dans le contexte actuel, le potentiel sentimental d'une interprétation de Première dame adulée par un pays brutalement privé de son charismatique président démocrate...