Théâtre / En adaptant le puissant roman du Prix Nobel de littérature Orhan Pamuk, Neige, Blandine Savetier met en scène une lecture subtile des tiraillements de la société turque entre laïcité et islamisme, traditions et modernité
Le poète Ka, revenu de son exil à Francfort, est recruté par un journal stambouliote pour enquêter sur des suicides de jeunes filles voilées à Kars, ville de l'extrême est de la Turquie et suivre les élections municipales qui vont s'y dérouler.
Dans cette ville frontière coupée du monde par une tempête de neige et en pleins troubles liés à cette élection à haut risque, il se retrouve pris entre les autorités kémalistes laïques et les islamistes, qui tous veulent instrumentaliser les filles voilées, les suicides et le poète qu'il est. Ka est venu aussi à Kars pour retrouver la belle Ipek, jadis connue à l'université. La neige qui nimbe la ville lui confère une poésie mélancolique, propre aux lieux oubliés du monde, où se répondent avec une intensité fiévreuse le vide existentiel et la recherche du sens. Ka y retrouve surtout son inspiration poétique perdue. Il traverse comme un "derviche" les évènements extraordinaires qui secouent la ville, la roue de l'histoire se met en branle et finit par le happer à son tour.
Deux thèmes, deux mouvements
Le travail dramaturgique de la metteure en scène Blandine Savetier, artiste associée au Théâtre National de Strasbourg, a consisté à identifier deux grands thèmes qui structurent l'adaptation en deux mouvements. Dans le premier, le poète Ka est central. Sharif Andoura, que l'on a déjà vu à La Comédie dans les dernières mises en scène de Mathieu Cruciani (Moby Dick de Fabrice Melquiot en 2014 et Un beau ténébreux d'après Julien Gracq en 2016), se met dans la peau de cet exilé qui essaie de se reconnecter à son pays natal. Il est dans une logique individualiste "moderne", contre les autres personnages dont le discours et la philosophie tendent à dissoudre l'individu dans la Communauté. Dans le deuxième mouvement, c'est le metteur en scène et acteur Sunay Zaim (Philippe Smith, qui a également joué dans le Moby Dick de Mathieu Cruciani) qui est le personnage principal. En provoquant un coup d'état dans un théâtre puis en mettant en scène sa propre mort, il devient l'acteur principal de l'histoire et oblige tous les autres personnages à se définir par rapport à son acte.
Neige, mercredi 18 et jeudi 19 octobre à 19h, à la Comédie de Saint-Étienne