Elle est bègue ; il n'ose lui avouer qu'il ne sait pas lire. Malgré une foule de barrières, ils vont tenter de s'aimer. Pour sa première réalisation de long métrage, Sara Forestier opte pour la complexité d'une romance abrupte nourrie de réel, de vécu et de non-dit. De beaux débuts.
Les gens lisses sont sans histoire. Pas les discrets. En dépit de quelques exubérantes spontanéités télévisuelles lors de remises de trophées ou d'une altercation avec un partenaire ayant conduit à son éviction d'un tournage, Sara Forestier appartient sans équivoque à cette seconde catégorie d'individus — rien de commun donc avec ces it-girls précieuses usant de tous les canaux médiatiques pour étaler leur ridicule suffisance. La preuve ? Elle n'a pas converti sa consécration dans le Nom des gens (2010) en un passeport pour les premiers plans (et le tout venant), ralentissant même la cadence pour choisir des rôles parfois plus succincts mais avec du jeu et de l'enjeu (La Tête haute). Mais aussi, on le comprend enfin, pour peaufiner l'écriture et la réalisation de son premier long succédant à trois courts ; démontrant au passage que devenir cinéaste pour elle n'a rien d'une toquade.
Un film initial
Le changement d'état, de statut, par l'accomplissement artistique est précisément l'un des sujets de M : Lila, lycéenne brillante mais renfermée du fait de son bégaiement, gagne de la confiance en soi et se met à écrire lorsque Mo, un électron libre s'intéresse à elle. Or si Lila peine à parler, Mo cache son illettrisme. Cet argument de l'incommunicabilité aurait pu donner lieu ailleurs à une comédie sentimentale redoutable, Sara Forestier se démarque du gag pataud pour creuser les drames ayant mené ses personnages à ces destins si tourmentés. Leurs vies lestées d'absences sont denses, leur histoire intime apparaît aussi heurtée que sensuelle — rarement le désir féminin aura été montré aussi crûment, et cependant dans son naturel le plus humide.
À la fois autrice et comédienne, Forestier ne vampirise pourtant pas le film, mesurant la présence de son personnage à l'écran, avec cette même justesse qui rend la trentenaire crédible dans la peau d'une ado de 17 ans. Cet art d'allier contraires et contrastes se retrouve dans sa capacité à former une œuvre cohérente parsemée d'icônes du chaos (Jean-Pierre Léaud en père démissionnaire, Christophe à B.O.) : sous la rigueur, la sauvagerie couve et avec elle l'âpreté des enfances mal aimées, des banlieues boiteuses, des économies parallèles, du déterminisme... Tout un contexte embrassé sans pathos et décrit à mots couverts. Mais d'une voix déjà assurée.
M de et avec Sara Forestier (Fr., 1h 38) avec également Redouanne Harjane, Jean-Pierre Léaud, Liv Andren, Nicolas Vaude... (15 novembre)