"La Villa" / Bienveillante, passionnée, Ariane Ascaride demeure l'incontournable muse et visage du cinéma de Robert Guédiguian. Dans La Villa, elle incarne Angèle, une actrice de retour dans sa fratrie...
À quoi pense-t-on quand on endosse un rôle d'actrice ?
Je ne pense jamais à ce que je fais quand je joue : je le fais, je le suis. Je pense avant ; peut-être après. Si vous pensez, vous ne jouez pas ; c'est une drôle d'alchimie. Je suis toujours fascinée quand j'entends des acteurs dire qu'ils sont allés en usine une semaine pour travailler à la chaine. Je ne le ferais jamais, car je ne serai jamais aussi crédible que quelqu'un qui travaille à la chaîne.
Qu'est-ce que le personnage d'Angèle a de vous ?
Mon corps, mes yeux, ma voix... Elle a joué La Bonne âme de Setchouan de Brecht. Ça a à voir avec moi : je suis entrée au Conservatoire à Paris avec cette pièce, je l'adore. C'est l'histoire d'une fille tellement gentille qu'elle est obligée de se déguiser en garçon pour parfois ne pas être gentille. C'est une parabole extrêmement violente et juste : il est difficile d'être bon. Ce personnage m'a toujours accompagnée dans ma vie. Tous les gens qui me connaissent le savent. Robert me vole tout le temps des choses. Mais mon personnage ne dit jamais ce que je dis dans la vie.
L'ancrage dans la région, peut-être ?
Ça fait 40 ans que j'habite à Paris ! (sourire) À part pour les films de Robert, je n'ai jamais tourné avec les gens de la région. Mon ancrage est familial, absolument pas professionnel.
Le regard porté sur vous du fait de votre notoriété vous a-t-il servi ?
Angèle revient en tant qu'actrice, mais actrice frustrée. Elle n'a pas tant de notoriété que cela : elle est connue dans des téléfilms. Cette notoriété n'est pas — pour moi — un gage de qualité et aujourd'hui, elle est de plus en plus éphémère. Nous sommes dans des temps où tout va tellement vite...
Angèle est à la fois une fille, une sœur, une mère dans le deuil et une amante. Qu'est-ce qui vous a le plus ému dans ce que vous aviez à jouer ?
L'évolution du personnage. Elle arrive très fermée, elle ne veut plus voir personne parce qu'en fait ça lui est insupportable. Mais dès qu'elle est dans cette calanque, tout lui resaute à la gueule : la mort de sa fille ; ces pierres, ces arbres, c'est toute son enfance. Elle est comme un boxeur. Au fur et à mesure, ça lâche, mais ça met du temps. Grâce au pêcheur que joue Robinson Stévenin — c'est un ange, pour moi — qui lui redonne la possibilité de respirer et de recommencer à regarder.
Est-il possible de commenter un scénario de Robert Guédiguian ?
Pour commenter, comptez sur moi ! (sourire) Je trouve que ce film est le plus personnel, le plus profondément intime ; ça m'a beaucoup ému quand je l'ai lu.
Après plus de trente ans de cinéma, parvient-il toujours à vous surprendre ?
Oui. Vraiment ! Je trouve que la manière dont il avance dans la vie est extrêmement belle et émouvante. Robert a toujours été très émouvant, mais c'était tellement caché... Ça a bougé depuis une dizaine d'années. Avant, il avait cette urgence de dire les choses, de les affirmer, parce ça lui était nécessaire et qu'il ne pouvait pas faire autrement. Maintenant, il lâche toute cette partie que les gens ne connaissent pas. C'est un être à moitié allemand, ne l'oublions pas. Ça, ça me surprend. Il va vers plus de douceur, mais il a autant de colère. Comme avait dit Le Clézio : « Je suis tellement en colère que je suis calme ». Après, il s'énerve un peu plus que Le Clézio... (sourire)
Dans une séquence, on vous voit tous en train de reprendre la cigarette. Quel pied-de-nez incroyable à cette récente discussion sur l'interdiction du tabac à l'écran...
Mais c'est un gag ! Alors il faut dans tous les films interdire de tuer les gens. Ou de se droguer, ou de dire des grossièretés, de coucher avec n'importer qui, n'importe comment... C'est une attitude hygiéniste... Je ne suis pas américaine, et pas hypocrite. Je ne suis pas protestante — enfin si, je suis protestante (rires). Ce qui est désespérant, c'est que l'on va parler pendant des jours de ce que l'on fait de la cigarette au cinéma, alors qu'il y a des sujets nettement plus importants. Qu'il y ait une campagne disant que fumer n'est pas la chose la meilleure du monde, que ça provoque des cancers ; qu'on informe les gens et qu'après ils soient responsables de leurs actes, évidemment je suis d'accord. Mais qu'on passe une semaine sur le sujet alors que des gens à la Porte de la Chapelle sont en train de dormir dehors, au milieu de voitures qui passent à toute berzingue sur le périphérique parce qu'on n'arrive pas à les mettre dans des foyers, faut remettre les priorités où elles doivent être !
Évidemment tout cela avait été tourné bien avant...
C'est toujours comme cela avec Robert : il devance des trucs, et on tourne toujours dans des endroits qui, après, n'existent plus — comme la cimenterie de Marius et Jeanette. Alors j'espère que pour la calanque de La Villa, ça va aller ! (rires)
Le film évoque la problématique des sentiers de collines qu'il faut sans cesse entretenir. Faut-il y voir une métaphore de la mémoire ?
C'est vraiment ça ! Très souvent, les films de Robert fonctionnent à plusieurs niveaux. Comme il dit, « je fais des films que mon père pourrait comprendre ». Si son père avait vu La Villa, il aurait effectivement compris qu'il faut entretenir les sentiers, pour la bonne et simple raison que sans cela, vous avez un risque de feu. Le second niveau, c'est qu'il faut entretenir les sentiers comme la mémoire, débroussailler et même créer d'autres sentiers.
Vous arrive-t-il de créer des voies de traverse supplémentaires à travers les chemins qu'il vous ménage ?
Personnellement ? Je ne cesse ! (sourire)