Quand des lanceurs d'alertes et la Loi peuvent faire plier une multinationale coupable d'avoir sciemment empoisonné le monde entier... Todd Haynes raconte une histoire vraie qui, étrangement, revêt une apparence patinée dans l'Amérique de Trump.
Tout juste promu associé dans un cabinet d'affaires spécialisé dans la défense des grosses firmes, un jeune avocat est sollicité par un fermier voisin de sa grand-mère désireux d'attaquer le chimiquier DuPont qu'il accuse de polluer son sol. Combat du pot de fer contre le pot de terre empoisonnée...
Paranoïaques, attention ! Si vous ne suivez pas assidument la chronique judiciaire ni les publications scientifiques d'outre-Atlantique, vous ignoriez peut-être qu'un sous-produit de synthèse omniprésent dans notre quotidien (des batteries de cuisine aux vêtements en passant par les moquettes), miraculeux du fait de ses propriétés anti-adhésives, présentait le *léger* inconvénient de ne pas être dégradé par le vivant tout en provoquant des dommages considérables à la santé. Et que les sociétés l'ayant commercialisé, en toute conscience, avaient préféré arbitré selon l'équation bénéfices/risques — bénéfices en dollars, évidemment.
Nouvelles révélations
Nul ne pourra accuser Todd Haynes d'opportunisme parce qu'il aborde un sujet environnemental. Dans Safe, (1995) déjà, le cinéaste traitait d'un cas extrême d'empoisonnement multifactoriel débouchant sur une allergie généralisée. Si le “remède“ était l'éviction de toute matière industrielle transformée (et l'intégration d'une communauté vaguement new age plus ou moins sectaire), ce film se révélait singulièrement visionnaire en dépeignant la condition vécue aujourd'hui par certaines personnes électro-sensibles.
Avec Dark Waters, Haynes opère une sorte de flash-back nous ramenant à la toute fin du XXe siècle par l'évocation de deux films emblématiques : Erin Brockovich (2000) et surtout Révélations (1999). Si les échos avec le premier — autre combat façon David contre Goliath débouchant sur la mise au jour d'un scandale sanitaire — sont ténus eu égard à la légère tonalité comique instillée par Julia Roberts et Soderbergh, ils sont manifestes pour le second abordant la dissimulation durant des années des preuves de la nocivité de la cigarette par l'industrie du tabac. Par le thème ainsi que par la forme, Todd Haynes renvoie à Michael Mann ; à sa mise en scène sans repos ; à son image pâle et bleuie plaçant ici au même niveau désaturé le béton de la ville et la grisaille des campagnes souillées ; à sa musique cliquetante vrillant les tympans... Une manière de nous signifier que les multinationales usent de ficelles identiques pour leurrer leurs victimes. Et que l'on n'a pas fini d'entendre parler d'actions de groupe, de procès pour empoisonnement et tromperie. Prenons les paris : le prochain réquisitoire filmé traitera des méfaits des “désherbants“...
Dark Waters de Todd Haynes (É.-U., 2h07) avec Mark Ruffalo, Anne Hathaway, Tim Robbins...