A l'écran en septembre / Davantage qu'un film “sur” les attentats parisiens de novembre 2015, Revoir Paris s'intéresse à leurs conséquences tangibles dans la vie d'une poignée de rescapés. Une œuvre à périmètre humain sensiblement interprétée, où Alice Winocour poursuit avec brio l'exploration des failles traumatiques.
Menant une existence heureuse entre son métier d'interprète et le couple qu'elle forme avec Vincent, Mia ne s'imagine pas que tout va basculer pour elle à cause d'un attentat perpétré dans la brasserie où elle s'arrête un soir, pour s'abriter de la pluie. Quelques mois plus tard, Mia doit retrouver la mémoire des événements pour réapprendre à vivre ; pour cela, elle peut compter sur l'aide d'autres survivants...
Des histoires sur le deuil, le cinéma en propose régulièrement, où il s'agit d'aller de l'avant en acceptant la disparition d'un être aimé. Revoir Paris en présente une plus singulière puisque la personne endeuillée doit ici non seulement surmonter un syndrome de culpabilité — celui d'avoir survécu quand tant d'autres ont péri —, reconstituer ses souvenirs et retrouver un témoin-clef du funeste soir afin de pouvoir, enfin, assumer la perte de sa propre existence passée. Monsieur Arkadin - Dossier Secret (1955) de Welles, Angel Heart (1987) de Parker, L'Échelle de Jacob (1990) de Lyne ou État second (1993) de Weir avaient déjà plus ou moins exploré ces thèmes, mais en longeant les frontières du fantastique ou du thriller ; Alice Winocour opte de son côté pour une approche réaliste et intime, en superposant au drame collectif (et anonymisé) d'un attentat les conséquences individuelles ressenties par une des victimes.
Ce point de vue subjectif, avec la part de doutes, de pertes de repères et d'angoisses, donne à Revoir Paris une dimension originale, par bribes : ce qui est montré du passé n'est ainsi pas forcément la vérité, mais les brouillons d'une reconstruction progressive. La réalisation et le montage s'avèrent, à cet égard, d'une grande habileté, en empruntant des voies plus psychologiques que strictement factuelles. La cinéaste a l'habitude des portraits d'individus cabossés intérieurement : de la patiente d'Augustine à la spationaute de Proxima en passant par le garde du corps de Maryland, tous ses personnages luttent sous l'écorce contre les douleurs térébrantes de leurs cicatrices les plus indélébiles : invisibles. Ils n'en sont que plus authentiques et attachants dans leur incapacité à communiquer l'indicible.
Post trauma, lux
Malgré le sujet, malgré le contexte, Revoir Paris ne reste aucunement prisonnier de sa tragédie originelle ; au contraire est-il orienté vers l'optimisme et la lumière — son titre, si simple, sonne d'ailleurs comme un vœu ou une invite à revenir à l'essentiel. Refusant de se perdre dans les circonstances ou les motivations de l'acte terroriste comme dans l'enquête, le film se focalise ainsi sur la réparation morale et physique des survivants ainsi que — employons dans son acception première ce terme trop souvent dévoyé — leur résilience. Il va sans dire que le choix des interprètes revêtait une importance cruciale puisqu'il ne s'agissait pas de “jouer” ou contrefaire l'état de déréliction confus que traverse Mia, mais bien de le vivre.
Virginie Efira offre les nuances idoines à ce rôle, de la torpeur initiale à la reprise en main de son destin. Quant à Benoît Magimel, faut-il croire que le cadre hospitalier lui réussit ? Toujours est-il qu'il incarne une figure boitillante mais solaire, ironiquement la béquille sur laquelle Mia va s'appuyer pour reprendre sa marche. L'année qui se boucle, après son César pour De son vivant, le Dupieux et avant (entre autres) le Alberto Serra — Pacifiction, précédé d'un beau bouche à oreille —, est aussi pour lui celle d'une jolie résurrection.
★★★★☆Revoir Paris de Alice Winocour (Fr., 1h45 avec avert.) avec Virginie Efira, Benoît Magimel, Grégoire Colin...