C'est un livre de chroniques judiciaires, celles qu'Emmanuel Carrère publiait chaque semaine dans L'Obs, lui qui a suivi, neuf mois durant, le procès du 13-Novembre 2015, nom de code V13. Mais quand celle-ci est écrite par un écrivain, c'est autre chose qu'une simple chronique. Et c'est autre chose qu'un simple procès. Un procès hors-norme, un mastodonte d'une durée de neuf mois qui a vu défiler quelque trois cents parties civiles et leurs témoignages souvent bouleversants, par ce qu'ils racontent évidemment – l'horreur, les actes de courage, comme les actes de lâcheté et la culpabilité qui les accompagne –, mais surtout, bien souvent, par la manière dont ils le racontent. La dignité immense qui se cache derrière l'épreuve qui, des années après, pour la plupart dure toujours. Carrère leur consacre une bonne partie du livre.
« L'effroyable banalité du mal »
Mais il n'oublie pas les accusés, sans complaisance et avec humanité. Des accusés pour la plupart de seconde main – les protagonistes directs, à l'exception de Salah Abdeslam, s'étant tous fait sauter. Il ausculte ainsi l'énigme que représentent ces jeunes hommes fanatisés et pourtant au départ si banals. Hanna Arendt appelait cela « l'effroyable banalité du mal ». On est en plein dedans. À quoi d'autre aura servi ce procès ? À donner la parole, à rendre justice, un tant soit peu, à comprendre aussi comment fonctionne une cellule terroriste. À fédérer surtout un collectif de victimes, un collège d'humanités traversées de la même douleur. Carrère raconte ainsi la communauté qui s'est créée jour après jour autour du procès, constituée à force de se côtoyer tous les jours dans ce même bateau qui tangue beaucoup, et le récit collectif qui a fini par émerger et qui, d'une certaine manière, réchauffe les cœurs. Il raconte la drôle de soirée, joyeuse, qui a suivi la conclusion du procès, comme un "ouf" de soulagement poussé en chœur. Comme un étrange accouchement de la justice et de la réparation, après neuf mois.
Emmanuel Carrère – V13 (POL)