À voir
★★★☆☆ La Fille d'Albino Rodrigue
Rosemary, 16 ans, vit placée. De retour chez ses parents, elle s'étonne que son père, Albino Rodrigue, ne vienne pas l'attendre à la gare. Puis qu'il ne réponde pas au téléphone. Et s'inquiète franchement quand sa mère, inconséquente comme toujours, multiplie les mensonges à son propos. Que s'est-il passé ?
Histoire étrange et dérangeante, d'autant plus qu'elle se nourrit de faits existants, La Fille d'Albino Rodrigue sait comment cultiver le malaise en créant une atmosphère d'anormalité, de décalage permanent défiant la logique. Qu'une fille semble une pièce rapportée dans sa propre famille, que sa mère la traite en vague nièce, que leur maison soit l'antichambre d'un vide-grenier impersonnel — ils font dans la brocante — et que les dissimulations manifestes ou les entorses à la vérité qui s'accumulent finissent par transformer la bizarrerie en inquiétude latente : jusqu'où la toxicité maternelle est-elle capable d'aller ? Le suspense térébrant que Christine Dory compose doit énormément à l'interprétaiton d'Émilie Dequenne (et à l'absence obsédante de celui qui joue son époux, Philippe Duquesne). Détail piquant : son personnage pourrait être une évolution défavorable de Rosetta (1999) — sur le fil en permanence, dans son combat individualiste pour s'en sortir —, voire de celui qu'elle campait dans Mariées mais pas trop (2003) de Catherine Corsini, où elle s'initiait à l'art de la mythomanie compulsive. On était alors dans une comédie noire ; il n'y a rien qui prête à sourire dans ce drame.
De Christine Dory (Fr., 1h30) avec Emilie Dequenne, Galatea Bellugi, Philippe Duquesne...
★★★☆☆ Le Principal
Guère apprécié par les profs du collège où il exerce, l'austère Sabri Lahlali place sa mission de principal-adjoint et l'exemplarité au-dessus de tout. Craignant que son fils, pourtant excellent élève, rate le brevet et ne compromette son dossier, Sabri commet le pire en l'aidant à tricher. À lui la spirale du mensonge...
Quittant pour la première fois au cinéma le registre autobiographique (même s'il place ici ou là des éléments personnels, notamment dans la relation avec le frère borderline de Sabri), Chad Chenouga marque un peu le pas. En cause *principalement*, une histoire en théorie authentique dont le dénouement invraisemblable, digne d'un mauvais téléfilm, rend compte des dysfonctionnements profonds de l'institution éducative — surtout dans ses hautes sphères. Il y avait pourtant des enjeux intéressants dans la situation de Sabri, transfuge de classe dont on devine l'inconfort social permanent, matérialisé par la roideur (naturelle mais ici accentuée) de Roschdy Zem. Mais davantage que le délit paternel et ses conséquences morales dignes du cinéma roumain de Mungiu ou Porumboiu, c'est le lien ambigu entre le principal-adjoint et sa patronne effacée incarnée par Yolande Moreau, un peu éprise de lui, que l'on retiendra, Chenouga s'avérant plus subtil dans l'évocation des frustrations et des non-dits.
De Chad Chenouga (Fr., 1h22) avec Roschdy Zem, Yolande Moreau, Marina Hands...
★★★☆☆Le Paradis
Un centre pour mineurs délinquants en Belgique. Alors qu'il est sur le point d'en sortir, Joe flirte avec les embrouilles à coups de bagarres et de fugues. Quand William débarque, Joe se sent immédiatement attiré par ce garçon plus sauvage que les autres. Une liaison se noue en marge du groupe...
Bouillonnement d'hormones, promiscuité, réclusion (OK, ça ressemble un peu au « cloître, caverne, prison, monastère » de Midnight Express), la relation entre les deux adolescents est tout de même cousue de fil blanc, avec ce qu'elle suppose de violence passionnée, d'attraction et de répulsion. Zeno Graton filme le cadre du foyer et ses activités manuelles ou éducatives, filme l'histoire d'amour clandestine (qui ne souffre pas de manifestation d'hostilité homophobe), filme la nature... Ce n'est pas déplaisant ni laid, mais ce sont des cases qui se succèdent à l'écran et qui auraient pu se contenter d'un réceptacle format court.
De Zeno Graton (Bel.-Fr, , 1h23) avec Khalil Gharbia, Julien De Saint-Jean, Amine Hamidou...
★★★☆☆ La Révole nature, de la vigne au verre
Loin des quilles standardisées gavées de sulfites, pesticides et autres intrants issus de l'agro-pétrochimie, le mouvement du vin nature fait avec du seul raisin a conquis une place enviable dans le paysage hexagonal. Caviste parisienne, Aline Geller part à la rencontre des acteurs de cette “révole“-ution...
Nom donné à la fête de fin de vendanges, la révole n'est qu'une parmi les nombreuses célébrations (libations ?) accompagnant le monde du vin, elle figure ici de manière marginale dans ce qui s'apparente à un long reportage — ou à l'ébauche d'une série, à l'instar de Mondovino de Nossiter ? — un peu foutraque mais instructif. Où l'on mesure l'engagement environnemental et qualitatif des producteurs ayant investi depuis la fin du XXe siècle dans le vin nature, leur caractère folklorique parfois, leurs méthodes à l'ancienne (l'usage de l'amphore enterrée, par exemple), leur apostolat souvent ; leur conscience d'une nécessaire réduction de la quantité au profit de la qualité. Faisant le choix de s'ouvrir en révélant le poids économique du vin nature (via le salon La Dive Bouteille de Saumur), le documentaire de se clôt sur un constat ironique : le fait que les viticulteurs français, si vertueux dans leur consommation quotidienne d'énergies fossiles, exportent l'écrasante majorité de leur production à l'autre bout du monde. Avec le vin, on n'est jamais à un french paradox près.
Documentaire de Aline Geller (Fr., 1h33)