Tchékhov en série

Le directeur du studio Théâtre d'Alfortville, Christian Benedetti, a le projet fou de monter chaque année une pièce de Tchékhov avec les mêmes comédiens. À la Comédie de Saint-Étienne, il présente trois monuments tchékhoviens La Mouette, Oncle Vania et Les Trois Sœurs. Florence Barnola


Tout est parti de La Mouette. Quand il l'a monté en 2011, Christian Benedetti a l'idée incroyable de se lancer dans un projet endurant : monter toute l'oeuvre théâtrale de Tchékhov, ses six grandes pièces et des pièces en un acte, avec la même équipe. En 2012 c'est au tour de Oncle Vania et en 2013 (la création est tout fraiche, elle date de novembre) des Trois sœurs. Chaque rôle est pris en charge par deux acteurs, jouant en alternance pour pallier à un quelconque imprévu et assurer toutes les dates. La scénographie est la même pour toutes les pièces, comme si les saisons se succédaient et s'imprimaient sur le même paysage. Finalement, le Temps ne serait-il pas le seul maître à bord de ce monde ? «Dans tout l'univers ne reste immuable que l'esprit» a fait dire Anton Tchékhov à la Nina de La Mouette, porteuse dans son évolution de l'acte de foi de tout acteur. Cette aventure théâtrale de longue haleine, que nous propose le metteur-en-scène et comédien Christian Benedetti, est formidable pour diverses raisons.

Le théâtre de Tchékhov est contemporain

Un : en ces temps de disette de subventions il est fort estimable d'employer un nombre conséquent de comédiens sur un plateau et en plus pour plusieurs saisons. Deux : Tchékhov est non seulement un fabuleux auteur, un immense poète, mais il a surtout modernisé l'art dramatique en réinterrogeant la dramaturgie pour en inventer une autre, La Mouette est d'ailleurs le point de départ et une mise en abyme de cette recherche qui se poursuivra inlassablement. Trois : Pour bien connaître un auteur, traverser une grande partie de son œuvre est une manière épatante de saisir son univers. Quatre : la littérature russe est d'une grande richesse, nous bringuebalant d'un sentiment à l'autre avec une extrême violence, nous plongeant au cœur même d'un spleen métaphysique comme cette réplique d'Oncle Vania le montre : «Ceux qui vivront cent, deux cents ans après nous - et pour qui nous déblayons maintenant le chemin - se souviendrons-ils seulement de nous ?». Le théâtre de Tchékhov est décidemment intemporel, ses interrogations sur son époque résonnent encore au XXIe, plaçant l'humain au centre. Et c'est là-dessus que s'appuie Benedetti : «On est aujourd'hui à un endroit du siècle où un monde est en train de disparaître. Un autre monde arrive que nous ne connaissons pas, qui nous fait peur, que nous ne maîtrisons pas. Et c'est tant mieux.» 

Oncle Vania à la Comédie de Saint-Étienne, le mardi 21 et samedi 25 janvier 2014 à 20h
La Mouette à la Comédie de Saint-Étienne, le mercredi 22 à 20h et samedi 25 janvier à 22h
Trois Soeurs à la Comédie de Saint-Étienne, le jeudi 23 à 20h et dimanche 26 janvier à 15h


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