Rest in peace


Gilles Tavernier pour la Sécu et les impôts. Mais pour presque tout le monde, c'était Tatane. Un personnage. Un grand ado de cinquante et quelques printemps. Infatigable déconneur. Barbiche et silhouette reconnaissables entre toutes. Grande gueule et fine bouche. Connu des noctambules stéphanois pour sa gouaille généreuse, sa culture et son sens du bon mot. Un amoureux des gens qui le lui rendaient bien. Un gars bien d'ici avec un cœur gros comme ça. Le genre de type dont on aime finalement presque autant les défauts que les qualités. Après avoir été l'un des fondateurs du FIL et après y avoir assuré avec panache la responsabilité du bar pendant plus d'un quinquennat, Môssieur Tatane était repassé en mode diurne pour ouvrir Le Rince Cochon, rue de la Richelandière, chouette restau décomplexé pour lequel il laissait s'exprimer ses talents de cuisinier dans un décor cent pour cent porcin, résultat d'une collection personnelle peuplée de groins en tous genres et de tous poils. Depuis quelques temps on pouvait aussi l'entendre causer tambouille, cuisine à la bière et produits du terroir sur les ondes bleues de la bande FM. Tatane a vécu plusieurs vies en une et ne craignait jusque-là ni les sales coups de la vie, ni la mort. Lorsqu'en mai 2013 je suis arrivé à Gibraltar avec mes vieux potes de lycée dans le but d'y distribuer des Free Hugs aux hispanglais tout en guettant l'Afrique du coin de l'œil, j'ai eu une irrépressible pensée pour ce doux-dingue qui m'avait sans doute inspiré voire encouragé à vivre mes envies. Un des plus beaux faits d'armes de Tatane fut en effet cet épique raid en mobylette, au cœur du mois d'août 2010, reliant La Tour-en-Jarez à Saint-Pétersbourg avec une poignée d'incorrigibles acolytes ! Trois mille six cents kilomètres sur treize jours en 104 Peugeot et Motobécane des années soixante-dix, chapeau bas… Coup de tête libérateur, cap-ou-pas-cap après la barre fatidique des cinq pintes, résurgence de vieux rêves, sursaut existentiel ou crise de jeunisme, peu importe le déclic, ceux-qui-osent nous montrent la voie d'une forme de liberté, celle qu'il faut se construire soi-même. Nietzsche (qui semble-t-il avait oublié d'être con) écrivait en substance « deviens ce que tu es ». Tatane était un homme libre, avec les pieds dans le charbon mais avec la tête pleine de rêves pas forcément inaccessibles. Sa dernière blague est loin d'être la meilleure, mais on ne peut même pas lui en vouloir. Salut l'artiste, nous ne trinquerons plus ensemble. RIP.

Photo issue de la série Hommage à Captain Bob (Radio Dio), Le FIL, février 2009


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