Si l'ouvrage recueille toujours les faveurs des capitales de l'opéra et des régions françaises, Paris le boude depuis 1947. Le livret irrite-t-il le lettré, qui s'écarte trop du conte de Flaubert Hérodias ? Les quelques libertés d'avec le récit biblique déroutent-elles l'exégète ? Un musicologue français s'exprime ainsi dans une célèbre publication de référence : « Mais pourquoi Massenet, une fois de plus, s'est-il contenté d'un livret défaillant, en dépit de la richesse du conte de Flaubert (…) et qu'en est-il de la musique lorsque le texte qu'elle accompagne s'avère dramatiquement pauvre ? » La messe est dite. Accuse-t-on Strauss avec sa Salomé inspirée du même conte, Bizet d'avoir martyrisé Mérimée, Berlioz crucifié Goethe, ou Mozart écorné Beaumarchais ? Oui, mais Massenet !
Ce systématique pincement de nez pour le mélodiste préféré des Anglo-Saxons est-il le symptôme de la faille sismique béante entre les élites françaises et le public populaire ? Le livret de Zardini, Milliet et Grémont convainc pourtant, si l'on prend soin de le lire. Le tétrarque Hérode s'entiche de Salomé. Cette dernière ignore qu'elle est la fille d'Hérodiade, conjointe délaissée du tétrarque. Salomé aime le prophète Jean-le-Baptiste, en plein prosélytisme anti-romain. Attisée par une Hérodiade ivre de vengeance, la jalousie du roi le pousse à exécuter Jean. Mère et fille se dévoilent alors, dans un grand élan lyrico-tragique. L'ouvrage, d'une vocalité titanesque, donne l'occasion à une école du chant français en pleine résurrection, de se réapproprier son patrimoine lyrique. En attendant le lever de rideau sur cet "opéra-péplum" digne de Cecil B. Demille, le mélomane pourra (ré)écouter les plus grands au disque: Domingo, Studer, Fleming, Pons, Hampson, Heppner… Des Français ? Oui, bientôt peut-être...
Hérodiade, du 14 au 18 novembre à l'Opéra de Saint-Étienne