I love America... 

Drame de l'attente amoureuse et du sacrifice, « Madame Butterfly » brille au firmament puccinien. La violence du non-dit déchire le papier japonais, soulignée dans cette nouvelle production, par la sobre mise en scène d'Emmanuelle Bastet.


Avec Madame Butterfly, Puccini frappe un direct du gauche, laissant l'auditeur au tapis. Inégalé et bouleversant, érudit et populaire, dandy mais indomptable, intellectuel et brutal, génial mélodiste... Que serait l'opéra sans Puccini?  La peinture sans Michel-Ange ! Lorsqu'il achève l'ouvrage en 1904, le maestro est porté par ses succès : Manon Lescaut, La Bohème, Tosca... La mode “orientaliste“ alimente l'Europe en fantasmes de sulfureux et exotiques comptoirs. L'argument : Cio-Cio San, geisha de Nagasaki s'éprend du lieutenant américain Benjamin Pinkerton. Le mariage à la japonaise, sans aucune valeur juridique, permet aux marins de l'époque d'apaiser leur conscience extra-conjugale. Pour Cio-Cio San, hélas, l'engagement est total ; elle renie famille et traditions, rêve d'Amérique, de se débrider les yeux... Pinkerton lève l'ancre, promettant de revenir. Elle donne naissance à “leur“ enfant, attend son retour, encore, toujours. Déjouant tous les oracles, il revient, mais accompagné d'une autre Mme Pinkerton, authentiquement américaine. Cio-Cio San renoue avec le code d'honneur nippon : elle se donne la mort par le sabre de son père. Dont acte!

Où sont les hommes ?

En ces temps de « prosélytisme genré », faut-il voir en Puccini le précurseur de la cause des femmes ? Victimes de la cruauté des hommes - au moins autant que de leurs propres chimères -, Puccini semble, dans ses opéras, s'identifier uniquement aux valeurs de ses héroïnes. Frappées par la maladie (Mimi), la soif insatiable de pouvoir des hommes (Tosca), un destin contrarié (Manon), le maestro leur réserve ses plus belles mélodies. Leur parole, leur message d'espoir et de beauté semblent sublimés par les accords les plus célestes de la partition. Les personnages masculins brillent par leur muflerie (Pinkerton), leur crédulité (Caravadossi), leur couardise (Des Grieux), leur autisme égocentrique (Rodolfo). Cette galerie de portraits masculins est l'une des plus tristes de l'histoire de la musique. Lourde et terrible responsabilité des interprètes : donner à entendre le tréfonds de nos âmes !

Madame Butterfly de Giacomo Puccini, dir. Giuseppe Grazioli, du 5 au 9 novembre 2021 à l'Opéra de Saint-Etienne,


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