Théâtre / À partir du conte populaire, Joël Pommerat, metteur en scène et auteur a écrit son Petit Chaperon rouge, spectacle époustouflant de beauté visuelle et de sens. Séverine Delrieu
Les relations familiales, le passage du temps, sont les thématiques récurrentes de Joël Pommerat. Elles rejaillissent dans son Petit Chaperon Rouge, en rendant visible ce qui effectivement est implicite et nous touche tous inconsciemment dans ce conte : le lien entre trois générations de femmes esseulées, isolées. Une famille où l'absence d'homme s'avère criante, et où le désir de la rencontre avec l'inconnu semble l'enjeu pour s'émanciper. Dans son adaptation, Pommerat exprime donc le liens complexes entres ces femmes : celui de la petite fille envers la mère est fait d'admiration, attirance, répulsion - la mère incarne et revêt la pelure du loup et joue à effrayer sa fille avec sa chevelure ; celui de la mère envers sa petite fille (jouant aussi le rôle de la grand-mère) est fait de rejet et d'envie, du fait de sa jeunesse ; et celui de la mère envers la grand-mère souligne l'incapacité à communiquer. En abordant en creux ces notions, l'auteur évoque subtilement, avec tendresse et violence, les problématiques de nos sociétés modernes, où l'isolement des plus âgés s'accentuent ; la solitude de l'enfant délaissé par le parent, fréquent, et source de déséquilibre ; parent qui se perd lui, dans un rythme de vie quelque peu absurde.
De l'obscurité vers la lumière
Mais il faut souligner que ce n'est que grâce à une mise en scène maîtrisée, précise, et à l'alchimie équilibrée entre gestes, bande sonore, lumières (des clair-obscur sublimes), que ces notions affleurent avec poésie. La scène de la mère perchée sur des talons invisibles qui claquent pourtant, sorte de danse répétitive, évoque une existence déboussolée. Autre magnifique scène très parlante : celle de la petite fille jouant avec son ombre. L'ombre, qui est incarnée par la mère, devient plus agile que la petite fille. Celle-ci se débat frustrée et implore la fin du jeu. Ce qui renforce l'aspect universel du lien familial ambivalent, c'est le choix esthétique de scènes quasiment purement visuelles. En effet, le récit et les dialogues (un texte à la fois émouvant et étrange par sa forme répétitive), sont assumés par le seul homme sur scène, un présentateur-commentateur auréolé d'une poursuite qui le met très en lumière. L'arrivée du dialogue direct, et donc de la disparition du présentateur (de l'homme ?), vient à propos avec la scène de séduction du loup envers la petite fille. Des questions sur le rôle de parents apparaissent : comment protéger les enfants tout en les laissant grandir et affronter la vie ? Car l'idée, enfin, très pertinente, est d'avoir représenté le loup de manière très concrète : il est vraiment effrayant, même si sa voix grave trafiquée, lui confère dans une scène un aspect comique. Cette représentation vériste de l'animal, évoque la bestialité qu'il y a en nous, pulsion de vie et de mort mêlée. Après le passage obligé par le ventre de la bête, la petite fille devient adulte. Se rapproche géographiquement et physiquement de sa mère. Le Petit Chaperon Rouge a grandi en faisant évoluer les comportements.
Le petit chaperon rouge
Jusqu'au 3 mars au Petit Théâtre de la MC2